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INCONGRUIT­É

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Deux nouveautés, absolues ou relatives, peuvent néanmoins être relevées dans Seule sur la plage la nuit. L’une est la situation allemande de la première partie, au cours de laquelle nous suivons Younghee, actrice sans doute venue là pour présenter un film, mais dont la vie semble avoir atteint un état de vacance à peu près total. Nous comprendro­ns bientôt qu’elle se remet, mal, d’une liaison avec un homme marié, cinéaste, liaison à laquelle le scandale a mis soudaineme­nt fin. (Toute ressemblan­ce avec l’histoire d’amour entre Hong et l’actrice Kim Min-hee ne saurait être fortuite, même au sein d’un cinéma où les rimes voudraient apparaître comme le fruit du hasard seul.) Il est curieux de voir alors combien Hong est à l’aise loin de chez lui, transforma­nt par exemple un parc en lieu de prière à la faveur d’une de ces ruptures douces dont il a le secret : juste avant de passer un petit pont, la longue silhouette de Younghee s’immobilise et la jeune femme se prosterne. Que demande-t-elle ? Ce que tout film de Hong promet et interroge à la fois : la capacité de décider enfin quel changement il faudrait qu’elle apporte au cours de sa vie. Plus décisive, l’autre nouveauté appartient presque au domaine du fantastiqu­e. À la fin de la partie européenne, Younghee, lasse ou rêveuse, de toute façon abandonnée, s’allonge sur une plage au bord d’un lac. Puis le plan suivant – le dernier en Allemagne – la montre emportée sur son dos par un homme qui s’éloigne. S’agit-il de celui aperçu dans le parc, à deux reprises, toujours de loin et essayant en vain d’attirer l’attention de Younghee et son amie ? Ce n’est pas impossible. Il est également probable que ce soit lui encore que l’on voit s’activer derrière la vitre de l’appartemen­t coréen où la même Younghee s’apprête à s’installer, sans toutefois que ni elle ni ceux qui l’accompagne­nt ne semblent remarquer cette présence aussi incongrue que drolatique. Quel est cet homme, ce fantôme, ce gardien qui veille sur la jeune femme ou, au contraire, dont l’espèce d’ubiquité plane au-dessus d’elle comme une menace? Hong Sang-soo ne le dit pas. D’ailleurs, le cinéaste ne souhaite plus commenter ses films – sinon par e-mail, et le plus laconiquem­ent possible. Quant à nous, nous pouvons voir ces deux apparition­s comme la nécessaire audace, la note dissonante d’un film comptant – à une exception majeure près, que chacun découvrira – parmi les plus linéaires de son auteur. On peut aussi bien imiter Younghee et n’y prêter aucune attention. Cela revient au fond au même. Les audaces, les effets de boucle ou de reprise, les divisions en partie ou chapitre, les incursions fantastiqu­es elles-mêmes ne relèvent en effet jamais de l’obligation chez Hong. Ils sont et doivent demeurer de pures possibilit­és.

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