Dominés, révoltés, réprimés
Assujettis à des pouvoirs qui n’ont cessé de s’approprier leurs terres et leur force de travail, les paysans ont attendu des siècles avant de se révolter. Retour sur trois exemples symboliques de ces soulèvements agraires.
En France, la Grande Jacquerie
Mai 1358. La guerre de Cent Ans fait rage.
Les paysans savent qu’ils en sont les principales victimes. Les nobles, eux, y voient l’occasion de prouver leur vaillance. Rompant le pacte féodal, ils dépensent en signes extérieurs de richesse l’argent qu’ils ont extorqué aux paysans pour assurer, en principe, leur protection. Certains de ces derniers se révoltent et quatre seigneurs sont massacrés. Durant trois semaines, une vague antiféodale se répand en Île-de-france et dans les provinces environnantes, dont les châteaux sont pillés, et leurs occupants, chassés. C’est la première jacquerie de l’histoire de France, terme dérivé d’un sobriquet méprisant – les “Jacques Bonhomme” – donné par les nobles aux travailleurs de la terre. Les chroniqueurs de l’époque insistent sur la sauvagerie des paysans, dont la colère leur apparaît contre nature. La répression voit les révoltés torturés et tués par milliers.
En Angleterre, la guerre aux enclosures
À partir du XVIE siècle, l’angleterre devient la première nation à entreprendre la destruction systématique des communs. Des champs utilisés collectivement par les communautés paysannes sont accaparés par les grands propriétaires terriens, qui érigent des clôtures et réservent ces terres à leurs troupeaux de moutons. L’objectif : favoriser le commerce de la laine, en pleine expansion, et recruter des bras pour les fabriques. On parle de “mouvement des enclosures”. Cette révolution agricole affame nombre de paysans, expulsés du jour au lendemain et privés de moyens de survie.
Durant deux siècles, des centaines d’émeutes locales vont éclater. Aucune n’obtient gain de cause. Dans les pays voisins, les pouvoirs en place admirent ce nouveau modèle et cherchent à l’imiter.
En Italie, l’occupation des terres
Après la Première Guerre mondiale, les paysans, qui ont été mobilisés dans une plus large proportion que les ouvriers des usines, estiment que les États ont une dette envers eux – particulièrement en Italie, où le gouvernement a promis une grande réforme agraire une fois la paix revenue. Or celle-ci semble oubliée. En 1919, les ouvriers agricoles et les paysans pauvres lancent alors un mouvement général d’occupation des terres. L’échec est total. Les grands propriétaires terriens du nord du pays font appel à des milices d’extrême droite qui parviennent à mater le mouvement. Leur victoire contre le “bolchevisme rural” propulse sur le devant de la scène les Chemises noires de Mussolini. Assujettie et instrumentalisée, l’agriculture devient le fer de lance d’une propagande fasciste obsédée par l’idée de la nation nourricière, qui gagne du terrain dans toute l’europe.