Simon Fujiwara comme un film à l’envers
Simon Fujiwara Running the Film Backwards
La Fondation des Galeries Lafayette a récemment accueilli Simon Fujiwara, Anglais d’origine japonaise, dans le cadre de son programme Lafayette Anticipation. Pendant six semaines de résidence, Simon Fujiwara a travaillé rue du Plâtre à Paris, dans l’ancien bâtiment industriel sur le point d’être intégralement rénové par OMA, l’agence de l’architecte Rem Koolhaas. De cette expérience sont nés une performance, une sculpture, une conférence et un film produits par la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette à l’occasion de la 5e édition du Nouveau Festival du Centre Pompidou.
Son père était architecte. Et c’est par l’architecture que Simon Fujiwara a commencé sa formation avant de se tourner vers l’art. Ses oeuvres ont été décrites comme des architectures sexuelles (1) et des architectures autobiographiques comme il le dit luimême. Ce sont assurément des architectures mutantes. « L’architecture est un démon que j’aime et que je déteste, avec lequel j’ai toujours joué, tout en sachant que je ne voulais pas devenir architecte. » Pourtant, il en utilise les ressorts : la combinaison de l’art et de la science, de la matérialité et du récit. Et lorsqu’on lui demande de parler de son travail, il décrit des bâtiments abandonnés avec des fers à béton qui sortent de colonnes en ruines, en Espagne ou en Grèce, dont les espaces vacants pourraient être remplis de rêves par une société tout entière.
HISTOIRES MÊLÉES
Simon Fujiwara se nourrit de conversations, d’histoire et de légendes, puis construit le fil de ses récits, de réalités en fantasmes, guidé par une digression puis par une autre. Cette pratique rappelle celle de Walid Raad, ou plus récemment celle d’Alexandre Singh. Les murs de la salle dans laquelle il a travaillé au cours de sa résidence à la Fondation des Galeries Lafayette évoquent les planches de l’Atlas Mnemosyne d’Aby Warburg, mais ses références résident plutôt dans les méandres d’Instagram. New Pompidou est une histoire mythique dont la forme continuera d’évoluer tant que l’artiste vivra. Le projet s’appuie sur le récit d’un amour ancien, sur celui de la naissance d’un artiste, et sur une rumeur, soufflée par Bernard Blistène, selon laquelle Pontus Hultén aurait voulu créer une mystérieuse réplique du Centre Pompidou, on ne sait pas où ni quand, ni sous quelle forme. La scène se passe dans les marécages primordiaux du Marais, infestés de lapins. Avec leur poil on fabrique du feutre – celui dont est fait Plight (1985) de Joseph Beuys au Centre Pompidou. Simon Fujiwara a entrepris de fabriquer le double de cet autre Centre Pompidou fantasmatique, le double d’un double en quelque sorte. Il l’a incarné dans la reproduction en plâtre d’une pièce métallique monumentale du même modèle que celles qui composent la structure du bâtiment. C’est une gerberette, raconte-t-il, pincesans-rire, du nom d’un ingénieur allemand (Heinrich Gerber) qui a travaillé au château de Neuschwanstein. Contrairement au caractère léger que pourrait évoquer la son o rité de ce terme, en architecture, la gerberette est une clef destinée à assurer la stabilité d’un ouvrage; c’est aussi l’un des éléments cristallisateurs du récit de Simon Fujiwara. Fictive trouvaille de fouilles archéologiques rêvées, la sculpture révèle des sédimentations de plâtre, de verdure artificielle et de pétales de roses; on dirait le résultat précipité d’une étrange alchimie.
PERFORMER-MONTER
Simon Fujiwara ne fait pas de hiérarchies entres les formes qu’il emploie : « Tout ce que je fais est de la performance. » À l’issue de six semaines de travail, New Pompidou a justement été révélé au public par une performance de l’artiste, dont le sujet était l’histoire de la sculpture qui venait d’être réalisée. Comme un rite de passage, elle s’est conclue par une procession, presque le jour de mardi gras, sarabande infernale menée par un nouvel Arlequin. Une image de danse macabre était d’ailleurs fixée au mur, parmi des photographies de gargouilles médiévales, de gravures du 19e siècle, et d’un homme-lion en ivoire du paléolithique. Accompagnée par les trompettes du Parsifal de Wagner, la gerberette a été portée jusqu’aux salles du Nouveau Festival. Chez Simon Fujiwara comme au carnaval, tous les renversements sont permis, la vérité n’est jamais certaine, et pourtant il affirme : « J’aime la vérité parce que nous en avons besoin. C’est une idée et une construction, comme beaucoup de choses. » Quelques jours plus tard, il a donné une conférence au Centre Pompidou, un peu différente de la performance initiale. Sa pratique est « à l’inverse de l’écriture d’un film ». Il conçoit d’abord les images, puis il écrit le scénario. La vidéo New Pompidou reprend le fil narratif de la performance, mais elle est plus elliptique, plus onirique. Le narrateur est Bernard Blistène, dans un studio d’enregistrement de l’Ircam – une manière pour Simon Fujiwara de se confronter de nouveau à l’institution qu’est le Centre Pompidou, et de l’infiltrer. « Je suis masqué mais comme je ne sais pas ce que je fais, je ne sais pas ce que j’essaie de cacher. »
INCARNATION ET DISPERSION
Un peu comme New Pompidou, bien que dans un contexte évidemment très différent, la vidéo Rehearsal For a Reunion (Répétition pour une réunion, 2012), donne également à voir son élaboration. La vidéo retrace les retrouvailles de Simon Fujiwara et de son père, qu’il n’avait pas revu depuis vingt ans. L’artiste, qui joue son propre rôle, a recruté un acteur pour celui de son père. Il lui propose de fabriquer un service à thé en céramique, selon un modèle créé par Bernard Leach, potier anglais dont le travail symbolise la réconciliation entre l’Orient et l’Occident, puis de briser l’original pour ne conserver que la copie. L’acteur comprend progressivement la mission qui lui revient. Le son et l’image sont parfois décalés. « On vous raconte qu’on vous ra-
conte une histoire, cela souligne le côté conte de fée et devient alors une question de croyance. » Simon Fujiwara dit souvent qu’il est, qu’il incarne lui-même son travail. Dans Studio Pietà (King-Kong Complex) [2013], par exemple, il endosse le rôle d’un metteur en scène pour recomposer une photographie disparue de sa mère dans les bras d’un homme sur une plage, à l’époque où elle était danseuse dans un cabaret à Beyrouth. Il parle de la production de l’image avec un interlocuteur qui n’est autre que lui-même. Ce dialogue est aussi l’occasion de réflexions sur le racisme, l’identité sexuelle, l’exotisme et le terrorisme. De même, dans la vidéo The Mirror Stage (2012), qui rapporte la découverte de l’art par le jeune Simon Fujiwara, son personnage est dédoublé entre l’artiste adulte et un enfant censé jouer son rôle à l’âge de onze ans. En se racontant à plusieurs voix, il explore l’idée d’une individualité diffractée.
HUMOUR, ÉROTISME ET MÉLANCOLIE
Parmi les images qui traversent le travail de Simon Fujiwara, figure celle du musée : New Pompidou évidemment, mais aussi Museum of Incest (2008), performance sur une institution fictive qui explore les origines érotiques de l’humanité. « Il y a dans mon travail une recherche sur les musées, sur leur aptitude à fabriquer des produits pour musées. Le monde se porterait mieux sans eux mais il n’y a pas de présent sans passé, et personne n’a eu de meilleure idée jusqu’à présent. » Ces images sont souvent teintées d’un humour discret mais vif. Le sujet des ruines apparaît aussi dans la vidéo Phalusies (2010), histoire de la disparition d’un mystérieux vestige de pierre découvert dans le désert d’Arabie, ayant suscité la panique sur place, en raison de sa forme phallique. En 2010, pour la Frieze Art Fair de Londres, Simon Fujiwara avait fabriqué de fausses ruines antiques, Frozen City. Enfin, sur le ton d’un nouveau romantisme, un peu comme la Vue imaginaire de la galerie du Louvre en ruines (1796), d’Hubert Robert, New Pompidou révèle la ruine d’un musée : « Le bâtiment devait être nettoyé tous les jours et aujourd’hui il est en pleine décrépitude, c’est un monde d’après la vie », raconte Simon Fujiwara. Mais cette mélancolie est ici teintée d’un certain érotisme, comme Fujiwara le souligne luimême : associé pendant la performance à un lapin écorché « hautement sensuel », comme il le caractérise, le musée est un corps dont la peau aurait été retournée et les muscles exhibés, et la gerberette fait partie des organes du bâtiment révélés au grand jour.
(1) F. Boenzi, « Sexual Architecture », Mousse n°20.
Simon Fujiwara
Né en / born 1982 à Londres Vit à / lives in Berlin et à Londres Expositions personnelles récentes 2013 Casa del Lago, Mexico City ; Kunstverein Braunschweig, Allemagne ; Andrea Rosen’s Gallery ; JGio Marconi, Milan ; Homeworks, Beyrouth, Liban ; Taro Nasu, Tokyo, Japon ; Dazaifu Shinto Shrine, Dazaifu Japon ; ArtSonje, Séoul 2014 Palais de Tokyo, Paris ; Proyectos Monclova, Mexico Expositions de groupe récentes 2013 Museum of Museum, Zweiter Teil, Beilefelder Kunstverein, Bielefeld ; Taming the Narraives, Basis Frankfurt ; SS Bluejacket, KARST, Plymouth ; Why not live for Art ? 2 , Tokyo Opera City Art Gallery, Tokyo ; Souvenir; Galerie Emmanuel Perrotin, Paris ; Together, Dvir Gallery, Tel Aviv ; Homeworks 6, Ashkal Alwan, The Lebanese Association for Plastic Arts, Beyrouth ; Sharjah Biennial 11 Espace Culturel Louis Vuitton, Munich ; Mori Art Museum, Tokyo ; École nationale supérieure de beaux-arts, Paris 2014 Return Journey, Oriel Mostyn Gallery, Llandudno, Royaume Uni