Sébastien Roux
Compositeur de musique électronique passé par l’IRCAM, Sébastien Roux invente des dispositifs sonores spécifiques pour traduire à sa manière des oeuvres préexistantes.
« Il est difficile de gâcher une bonne idée ». Parce que c’est Sol LeWitt qui le dit, on veut bien le croire – lui dont la carrière artistique a consisté à mettre en oeuvre de bonnes idées. Ces idées étaient d’ailleurs tellement bonnes qu’elles continuent aujourd’hui encore à susciter des réalisations qu’il n’avait même pas programmées. Sébastien Roux a ainsi composé des séquences sonores fondées sur les instructions données par l’artiste américain pour réaliser ses wall drawings. C’est en 2010, à l’occasion d’une résidence artistique à New York, que Sébastien Roux découvre l’impressionnante collection de dessins de Sol LeWitt exposée à la fondation DIA : Beacon. Ce choc esthétique fonctionne d’emblée comme un embrayeur créatif : il perçoit les combinaisons sérielles qui organisent les formes géométriques de Sol LeWitt comme des partitions graphiques. « Ses dessins préparatoires pour sa série des Open Incomplete Cubes ressemblent aux partitions d’un compositeur contemporain qui se serait essayé à l’art de la fugue », commente le musicien. « Sol LeWitt a d’ailleurs créé quelques pièces sonores qu’il a par la suite retirées de son catalogue officiel. Il collectionnait également des partitions musicales et des enregistrements d’oeuvres de Jean-Sébastien Bach, Steve Reich, j’en passe et des meilleurs. » Depuis plusieurs années, Sébastien Roux aime jouer avec des oeuvres préexistantes (musicales, visuelles, littéraires) pour les « traduire » dans un autre langage sonore. Pour faire « écouter » les dessins de Sol LeWitt, il utilise les sons électroniques et acoustiques comme autant de correspondances sonores. Chaque séquence est introduite par la des-
cription du principe qui l’a générée : « La Variation 4 propose toutes les combinaisons par paires de 12 sons électroniques dont la morphologie correspond à 12 des 20 figures qui constituent le fondement du Wall drawing #260. La Variation 5 superpose deux traductions (l’une électronique et l’autre vocale), fondées sur le même système. » Ses compositions sont restituées non pas sous forme de concert mais de séances d’écoute. « En concert, il n’y a rien de moins sexy que la laptop music : se réunir pour écouter un type qui fait de la musique assis derrière un ordinateur n’a vraiment aucun intérêt. En ce qui me concerne, je ne me suis jamais considéré comme un musicien performer. Pour faire entendre mes compositions en public, je m’émancipe des conventions du concert en proposant aux publics des séances d’écoute. Je privilégie la qualité du dispositif, son intégration dans un lieu spécifique et la mise en scène du son dans l’espace. Mon travail sur la spatialisation ne cherche pas pour autant à produire des effets surround. J’élabore une image sonore relativement frontale qui existe par elle-même » Sébastien Roux aborde donc la musique électronique de façon oblique en se détournant du concert pour privilégier des expressions parallèles, telles ses installations de Wallpaper Music où les sources sonores sont dissimulées dans un mur recouvert de papier peint qui diffuse une composition venant « colorer » l’espace. Il oeuvre également dans le domaine de l’art radiophonique en réalisant plusieurs pièces diffusées sur les ondes, notamment en Allemagne où cette pratique artistique est plus reconnue qu’en France.
QUELQUE CHOSE D’OULIPIEN
Composée d’après la Légende de saint Julien l’Hospitalier de Gustave Flaubert, sa dernière pièce a néanmoins fait l’objet d’une diffusion sur France Culture. Intitulée Nouvelle, l’oeuvre charrie un matériau sonore uniquement constitué à partir des phrases du texte qui décrivent des situations sonores ou qui contiennent des dialogues. « Ces sons ont ensuite été agencés en fonction de leur position dans le texte. La composition a consisté à construire l’itinéraire qui relie ces balises sonores. » Il y a quelque chose d’oulipien dans la démarche de Sébastien Roux, qui d’ailleurs revendique un lien avec les investigations littéraires de Georges Perec ou Jacques Roubaud, et les jeux visuels de François Morellet. Dans le domaine musical, son panthéon personnel compte des compositeurs hors-normes comme Georges Aperghis, dont il a été l’assistant à l’IRCAM – « je lui dois ma première grande expérience professionnelle » – Tom Johnson – figure emblématique du minimalisme fantaisiste qui s’est fait connaître avec son pirandellien Opéra de quatre notes (1972) –, Alvin Lucier – « lequel considère d’ailleurs Sol LeWitt autant comme un musicien qu’un plasticien ». « Il y a aussi Bob Dylan ». Sébastien Roux collabore régulièrement avec des artistes issus d’autres disciplines. Avec Célia Houdart, auteur de deux romans édités chez P.O.L ( le Patron et Carrare), ils ont créé des parcours sonores comme Oiseaux / Tonnerre, un « petit opéra bruissant et minéral » conçu dans le cadre de Marseille-Provence 2013 ou Car j’étais avec eux tout le temps, au Festival d’Avignon en 2010. Ils ont imaginé des installations avec le concours de l’architecte et designer Olivier Vadrot. Sébastien Roux a également composé des musiques de scène, notamment pour le chorégraphe Sylvain Prunenec : Gare ! et Précis de camouflage. Quand je lui demande avec quel artiste il rêverait de travailler, il reste pensif et sans réponse. Quelques jours après notre entretien, il m’envoie un email laconique : « Hier je repensais à ta question et alors je me suis dit : Mais bien sûr ! Alain Resnais ! Et aujourd’hui, on apprend sa mort… Du coup, je n’ose plus penser à quelqu’un d’autre… »
The electronic music composer and IRCAM alumnus Sébastien Roux invents site-specific sound installations that translate, somewhat idiosyncratically, preexisting works.
——
“It’s hard to ruin a good idea.” Sol LeWitt said it, so it’s probably true—after all, he built his artistic career on the realization of good ideas. Furthermore, these ideas were so good that they continue to be brought to fruition in ways he did not foresee. Musician Sébastien Roux, for instance, has composed sound sequences based on LeWitt’s instructions for the making of his wall drawings. Back in 2010, during a residency New York, Roux discovered the impressive collection of LeWitt drawings at the DIAFoundation in Beacon. That aesthetic shock set off sparks of creativity. Roux perceived LeWitt’s serial combinations of geometric forms as graphical musical scores. “His preparatory drawings for the Open Incomplete Cubes series resembled sheet music by a contemporary composer taking up the art of the fugue,” Roux commented. “Sol LeWitt also wrote a few sound pieces he later withdrew from his official catalogue, and collected scores and recordings of work by Johan Sebastian Bach, Steve Reich and so on.” For several years Roux has enjoyed playing with pre-existing works (musical, visual and literary pieces), “translating” them into different sound languages. To make LeWitt’s drawings “listenable,” he used both electronic and acoustic sounds as musical correspondences. Each sequence is introduced by a description of the principle that generated it: “La Variation 4 uses pairs of all the combinations of 12 electronic sounds whose morphology corresponds to 12 of the 20 figures Wall Drawing #260 is based on. La Variation 5 superimposes two translations (one electronic, the other vocal) based on the same system.” His compositions are rendered not as concerts but as listening sessions: “Never is a concert less captivating than when it involves laptop music. I mean, what’s the point in gathering around to listen to some guy making music sitting behind a computer? I’ve never considered myself an instrumentalist. When I want an audience listen to my compositions, instead of being bound by the conventions of a concert I offer people listening sessions. For me the most important dimensions are the quality of the installation, its integration into a specific site and the spatial staging of the sound. But my spatialization has nothing to do with producing surround sound effects. I work out a relatively straightforward sound image that exists by itself.”
SHADES OF OULIPO
Roux approaches electronic music obliquely, abandoning the concert hall and instead privileging parallel expressions such as his Wallpaper Music installations, where sound sources are hidden in a wall covered with wallpaper that produces a composition meant to “color” space. He also makes radio art, pieces meant for broadcast, especially in Germany where this artistic practice is more recognized than in France, although his latest piece, Nouvelle, was broadcast over France Culture radio. Based on Gustave Flaubert’s story “The Legend of Saint Julian the Hospitaller,” it is comprised solely of sound materials taken from texts describing sound situations or dialogues. “These sounds were then organized on the basis of their position in the text. The compo- sition consisted of constructing an itinerary to connect these sound beacons.” There is a touch of OuLiPo in Roux’s approach. He readily cites his debt to this group (Ouvroir de Littérature Potentielle), with the experiments of writers like Georges Perec and Jacques Roubaud and the visual games of François Morellet. In the domain of music his personal pantheon includes non-mainstream composers like Georges Aperghis (Roux was his assistant at the IRCAM—“I have him to thank for my first real professional experience”), Tom Johnson (an emblematic minimalist music figure, known for his 1972 Pirandellian Four Note Opera) and Alvin Lucier “who considers Sol LeWitt to be as much a musician as a visual artist.” “And then there’s also Bob Dylan,” he adds. Roux works regularly with artists from other disciplines. In partnership with the novelist Célia Houdart, author of two novels ( Le Patron and Carrar, published by P.O.L.), he created sound installations such as Oiseaux/ Tonnerre, “a rustling, stony little opera”) for the Marseille-Provence festival in 2013 and Car j’étais avec eux tout le temps, at the Avignon Festival in 2010. They worked out their installations with the help of the architect and designer Olivier Vadrot. Roux has also composed theater music, notably for the choreographer Sylvain Prunenec’s Gare ! and Précis de camouflage. When asked who would be his dream artist to work with, Roux became pensive and didn’t answer. A few days after this interview, he sent this laconic e-mail: “Yesterday I was thinking over your question and suddenly I said to myself, ‘Of course, Alain Resnais!’ And today came the news of his death. So I don’t dare try to think of someone else.”
Translation, L-S Torgoff
Sébastien Roux
Né à / born Lyon en 1977 Vit et travaille à / lives in Paris et à New York 2012 Nouvelle, d’après Flaubert, pièce radiophonique 2013 Oiseaux / Tonnerre, installation sonore avec Célia Houdart et Olivier Vadrot ; la Veille, installation sonore avec Célia Houdart et Yannick Fouassier ; Carillons, design sonore pour le collège Beaucourt (Belfort) avec Olivier Vadrot 2014 Inevitable Music #2 et #3 Inevitable Music, Danspace Project, New York, 23 mai Laboral, Gijon, Espagne, 28 juin Festival Désert Numérique, Saint Nazaire le Désert, Drôme, 4 - 6 juillet Consortium (Dijon), Automne, Edition vinyle : Inevitable Music #1 : Variations on Sol LeWitt’s wall drawing #260, Future Audio Graphics, New York