Agnès Thurnauer
Le Radar, Bayeux / 2 janvier - 16 avril ; Musée des beaux-arts, Nantes / 28 février - 11 mai ; Galerie de Roussan, Paris / 21 mars - 24 mai 2014
Trois expositions complémentaires, quoique de nature et de taille différentes, ont offert l’opportunité d’un aperçu panoramique de l’oeuvre picturale complexe et parthénogénétique d’Agnès Thurnauer. L’exposition rétrospective dans la chapelle de l’oratoire du musée de Nantes, l’exposition subtilement axée sur le rapport serré entre peinture et texte au centre d’art du Radar à Bayeux, et enfin le choix ciselé de quelques morceaux choisis pour le petit espace de la galerie de Roussan à Paris, ont éclairé la cohérence et la portée d’une oeuvre construite dans une atemporalité pensée, où les séries de tableaux s’engendrent, se reprennent, se citent, se nourrissent les unes des autres et dialoguent dans un processus en miroir délibérément labile. Le dispositif pictural de Thurnauer est un chantier de la pensée, un face-àface dialectique fait de retours, de regards croisés, de déclinaisons, de glissements et de cooptations sémantiques. Pour Thurnauer, la peinture est une interlocutrice active – ni une surface où déposer une figure, ni un espace où laisser une configuration à regarder de l’extérieur. Le face-à-face, le corps-à-corps qu’elle entretient avec elle, et auquel elle nous convie, est une relation physique et mentale au tableau. À Nantes, les doubles fi- gures, contours anthropomorphiques « à remplir » des Big-Big et BangBang, comme les somptueux dessins de la série des You, tirés de personnages picturaux historiques dont le regard frontal est comme magnifié, nous précipitent dans une expérience spéculaire. Celle-ci perdure avec les Ailes chamarrées qui vous jettent la peinture à la tête, les Biotopes aux corps graciles et sauvages qui somment un espace pictural fait de textes journalistiques d’annoncer ce qui se passe hors d’eux et avec eux. Choix essentiels répondant à la sélection faite par l’artiste de portraits historiques issus de la collection du musée, ils sont les points d’orgue d’une exposition portée par une relation de proximité injonctive. On retrouve, dans l’exposition du Radar, les multiples permutations, stratifications et déclinaisons qui font de la production de Thurnauer un grand tout constamment en devenir. Les oeuvres sont toutes des matrices. Ainsi a-t-elle nommé son installation au sol de moulages de mots, qui invite au cheminement littéral dans son tissage à la Pénélope entre mots et peinture. Matrice est présente dans les trois expositions. À Bayeux, deux versions en sont proposées en regard de grands dessins dont les lacis finissent par écrire des mots… L’exposition de Paris la propose en déclinaison sur une étagère parmi quelques pépites picturales. La jouissance visuelle que nous procure l’art de Thurnauer ne doit pas masquer son approche contemporaine sophistiquée de l’être et du voir en peinture aujourd’hui.
À paraître : Journal et autres écrits, Énsb-a, Paris, 2014 ; Manet, la peinture comme réciprocité, JNF Éditions, Paris, 2014.
These three complementary exhibitions, all different in nature and size, offered a panoramic view of the complex and parthenogenetic pictorial work of Agnès Thurnauer. The retrospective in the oratory at the Musée des Beaux- Arts in Nantes, the show at Radar in Bayeux with its subtle focus on the close links between painting and text, and the select little set of works in the small Galerie de Roussan in Paris, illuminated the coherence and scope of this body of work constructed in a thoughtful timelessness, in which series of paintings engender, reprise, quote and nourish each other, dialoguing in a deliberately la- bile play of mirrors. Thurnauer’s pictorial system is an ongoing thought process, a dialectical confrontation made up of returns, contrasting visions, variations, shifts and semantic co-optings. For Thurnauer, the painting is an active interlocutor—not a surface on which to place a figure, nor a space on which to leave a configuration to be viewed from outside. Her face- to- face, bodyto-body relation to painting, which she invites us to witness, is a physical and mental relation to the tableau. I n Nantes the double figures, anthropomorphic “fillin” contours of the Big-Big and Bang-Bang, and the splendid drawings of the You series, taken from figures in historic paintings whose frontal gaze seems to be magnified, immerse us in a specular experience. This continues with the shimmering Ailes chamarrées, which seem to “throw paint in our face,” the Biotopes with their graceful, wild bodies which enjoin a pictorial space made up of journalistic texts to announce what is going on outside and within them. These are essential choices corresponding to the artist’s own selection of historical portraits from the museum collection, forming the high points of an exhibition sustained by a relation of injunctive proximity. The Radar exhibition, too, has these multiple permutations, stratifications and declensions which make Thurnauer’s work one great, constantly evolving whole. The works are all matrices. Indeed, this is the title she gave to her installation on the floor of casts of words, which invites us to a literal path through its Penelope-like weave of words and painting. Matrice is present in all three exhibitions. In Bayeux, two versions are on show, opposite the large drawings whose web finally forms words. The exhibition in Paris shows a series of versions on a shelf among a number of pictorial nuggets. The visual pleasure offered by Thurnauer’s art should not distract us from her sophisticated, contemporary approach to the questions of being and seeing in painting.
Translation, C. Penwarden
Forthcoming, Journal et autres écrits, Énsb-a, Paris, 2014; Manet, la peinture comme réciprocité, JNF Éditions, Paris, 2014.