Les esthétiques d’un monde désenchanté
Centre d’art contemporain / 18 juillet - 2 novembre 2014 Avec plus de 140 peintures, sculptures, photographies et vidéos de 90 artistes différents réparties sur les cinq étages de l’abbaye Saint-André, l’exposition les Esthétiques d’un monde désenchanté est ambitieuse par sa taille. Elle l’est aussi par son propos : rendre compte d’un état d’esprit, voire d’un esprit du temps, qui infuserait l’art contemporain, plus précisément, la création du début du 21e siècle en Occident. Car, à l’exception du Chinois Liu Bolin et de l’Argentin Marcos Lopez, tous les artistes officient en Europe ou aux États-Unis. Ce monde désenchanté serait donc avant tout développé et occidental. L’utopisme des avant-gardes du 20e siècle aurait cédé la place au désarroi, à l’inquiétude et au repli. Michelle (2011) de Dejode & Lacombe incarne ce sentiment de crise : ce curieux assemblage d’où émerge une main tenant une lanterne est un Diogène contemporain lancé dans l’improbable quête d’un homme. Abordant des sujets variés, fondées sur un point de vue objectif ou lais- sant libre cours à une imagerie personnelle, les oeuvres déclinent ce désenchantement : des villes extrêmement denses, des friches et des espaces vides montrent la déshumanisation de notre cadre de vie ; des visages et des corps effacés ou violentés disent la disparition du sujet ; des groupes de personnages dans l’incapacité de communiquer soulignent la solitude d’individus que seule une violence sourde ou explicite semble désormais rassembler… Le constat est brutal. Fruit d’une démonstration circonstanciée, il est convaincant, quoique parfois un peu appuyé, subsumant alors les oeuvres aux dépens de leur singularité, et desservi par d’autres, redondantes ou trop inégales. Mais il est étayé par les attitudes d’artistes qui, en réponse au désenchantement, manifestent un goût pour l’incongru, l’absurde et le grotesque, ou, dans une tentative de réenchanter leur monde, à défaut de vouloir changer le nôtre, rêvent de nouveaux espaces ou se lancent dans une quête poétique et parfois spiri- tuelle. On retiendra particulièrement, à cet égard, les trois intrigantes petites toiles de la série Génie (2013) de Bruno Perramant mettant en scène un homme soufflant dans une étrange trompe avant de s’en retourner vers son mystère. L’exposition part du principe que l’art révèle ce désenchantement, mais elle a aussi l’intérêt de s’interroger sur ce que ce désenchantement fait à l’art. Moins en montrant des artistes dépressifs qu’en posant la question du médium. Quelques pistes concernant la peinture et la sculpture sont esquissées. Mais, face au grand nombre de photographies, on se demande si cet art mécanique ne serait pas le médium par excellence du désenchantement ? De fait, pour prendre deux exemples, la typologie de façades mulhousiennes de Frédéric Lefever est, par son systématisme et son prosaïsme, plus anxiogène qu’amusante, et les portraits de Sarah Jones, même s’ils sont mis en scène, sont d’une glaçante neutralité. Mais ce serait négliger le recours au montage numérique : les Flying Houses (2013) de Laurent Chéhère ont, qu’on aime ou non l’artifice, au moins le mérite de prendre de la hauteur avec ce monde désenchanté.
is ambitious in its size. And so it is too, in its idea of capturing a state of mind, or even a zeitgeist, informing contemporary art—art in the West at the turn of the twenty-first century. For, with the exception, of the Chinese Liu Bolin and the Argentine Marcos Lopez, all these artists work in Europe or the United States. This “disenchanted world,” then is essentially a Western affair. The utopianism of the twentieth-century avant-gardes has given way to disarray, disquiet and retraction. Michelle (2011) by Dejode & La- With over 140 paintings, sculptures, photographs and videos by 90 different artists laid out over the five floors of the Abbaye Saint-André, the exhibition Les Esthétiques d’un monde désenchanté combe embodies this sense of crisis. This curious assemblage, with a hand holding a lantern coming out of it, is a contemporary Diogenes setting off in the unlikely quest for man. Covering a variety of subjects, approaching them in an objective style or more personal imagery, the works go through the terms of this disenchantment: dense-packed cities, urban waste grounds and empty spaces show the dehumanization of our environment; blurred, erased or violated faces and bodies bespeak the disappearance of the subject; groups of figures unable to communicate underscore the solitude of individuals that only muted or overt violence seems able to rally. It’s a bleak picture. But the case is substantiated and convincing, even if sometimes emphatically stated, overwhelming the individuality of the works or undermined by other, redundant or overly fragile pieces. But it is backed up by the artists who, responding to this disenchantment, manifest a taste for the incongruous, the absurd and the grotesque, or attempt to re-enchant their world and, if ours can’t be changed, dream of new spaces or engage in a poetic and sometimes spiritual quest. Particularly noteworthy in this respect are the three intriguing little canvases from Bruno Perramant’s Génie series (2013) showing a man blowing into a strange horn before returning to his mysterious world. The exhibition works on the principle that art reveals this disenchantment, but it should also be asking what this disenchantment does to art. Less by showing depressive artists than by raising the question of the medium. A few directions in painting and sculpture are sketched in but such is the prevalence of photography that you wonder if this is to the medium of disenchantment par excellence. To take two examples, Frédéric Lefever’s typology of façades in Mulhouse is more disquieting than amusing in its systematic, prosaicness, and Sarah Jones’s portraits, even if staged, are chilling in their neutrality. But this would be to neglect the use of digital montage. Youmay or may not appreciate the artifice, but Laurent Chéhère’s Flying Houses (2013) do at least have the merit of dealing with this disenchanted world with a bit of detachment.
Translation, C. Penwarden