Percival Everett par Virgil Russell
Actes Sud Percival Everett construit une oeuvre singulière autour d’une question essentielle : les paradoxes de l’identité et de la notion même d’auteur. Ses romans se caractérisent d’abord par leur style, cocktail détonnant – qui sait allier une dimension expérimentale et métaphysique à une forme subtile d’humour fondée sur le jeu de mots et le trait d’esprit. Dans son dernier roman au titre éloquent, Percival Everett par Virgil Russell, l’écrivain américain s’aventure encore un peu plus loin en s’essayant à un genre quelque peu tombé dans l’oubli : le roman polyphonique. Le livre part d’un récit central ubuesque : le quotidien d’un vieillard, le père du narrateur, dans une maison de retraite. Celui-ci prépare une révolte avec ses copains d’infortune, afin de mettre fin à l’exploitation des vieux par les jeunes. Le livre digresse peu à peu vers des récits parallèles, pour se transformer en une sorte de jeu de cache-cache entre les protagonistes, jeu dans lequel on ne sait jamais qui parle et surtout à qui. « Je serais Murphy. Tu serais qui tu veux. Ou celui que tu veux ? » Entre les lignes, on devine les philosophes qui nourrissent l’auteur : Wittgenstein, (Bertrand) Russell, peut-être même Agamben. Pour autant, Everett ne va pas pleurer sur une prétendue « mort de l’auteur », façon Roland Barthes réchauffé à la sauce contemporaine. Ce qu’il propose, au fil d’un récit décapant et virtuose, touche à l’essence même du langage et ses paradoxes indépassables. « Où rangeons-nous l’ineffable ? », se demande quelque part le narrateur, aux côtés d’une des photographies qu’il prend et insère au fil des pages du livre. L’oeuvre d’art, recours possible pour dépasser les apories du langage ? Ce livre définit en tout cas un hors-champ salutaire pour la littérature contemporaine.