Ricardas Gavelis Vilnius Poker Monsieur Toussaint Louverture
Il est possible que Vytautas, ultime représentant de la famille Vargalys, soit fou. Il erre dans Vilnius, où les immeubles ont abrité les geôles de la Gestapo puis du KGB. Minotaure dans le labyrinthe des rues, Vytautas se croit épié. Ils sont partout. Ils, ce sont ceux qui ont détruit tout espoir et Ils sont beaucoup, tant « Ils se sont succédé dans cette Lituanie qu’Ils ont tenté de détruire, s’insinuant dans chaque méandre de la ville ». Le meilleur refuge est sans doute la bibliothèque, où Vytautas s’occupe des ouvrages interdits. D’ailleurs, « le fait que l’on ne puisse pas trouver dans les livres des informations concrètes à Leur sujet est une autre preuve de Leur existence ». Mais contre qui se bat Vytautas ? Contre ceux qui l’ont envoyé au Goulag ? Contre le dragon fumant dans les sous-sols de la ville ? Contre ceux qui ont tenté de lui voler le souvenir des jours heureux ? « Tant qu’il était emprisonné dans les camps, témoignera un drôle de chien qui est peut-être la réincarnation d’un ami de notre héros, tout lui paraissait limpide ; ce n’est qu’une fois libéré que le chaos a commencé. La confusion s’empare de nous dès que nous avons à faire un choix. » Kafka, Dostoïevski, Orwell, ou même Calaferte, nous pourrions comme cela tracer une généalogie de ce roman. Peu importe. Le Lituanien Ricardas Gavelis, décédé en 2002, a écrit une oeuvre dont se dégage une force noire, compacte et gluante, soutenue par une écriture sans fioritures sur les années noires de la falsification de l’histoire et de l’âme des pays de l’Est. Un livre sur la folie, sur la perte d’identité d’un peuple, mais aussi sur le sexe. « Le grand ensemble ne contient pas d’épisodes révolus, se dit Vytautas dans un moment d’abattement – ou de lucidité –, tout est en train de s’accomplir. »