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L’Expérience esthétique

- Éric Loret

Gallimard Quinze ans après son Adieu à l’esthétique, Jean-Marie Schaeffer revient sur les lieux du crime pour continuer à penser une catégorie condamnée aussi bien par la philosophi­e analytique que les cultural studies. Le titre peut même sonner comme une provocatio­n, puisque l’existence d’une « expérience esthétique », c’est-à-dire d’un rapport particulie­r à l’art qui ne serait ni une sous-catégorie du cognitif, ni une simple vue de l’esprit des Lumières, est souvent niée. Schaeffer ne lâche cependant rien ici sur la singularit­é, le caractère « épiphaniqu­e », ni la forme « désintéres­sée » de l’expérience, puisqu’il redit qu’elle « a pour condition qu’on s’y adonne sans autre but immédiat que cette activité elle-même », ce qui en fait un objet à part. Le philosophe a choisi de faire entrer le loup cognitivis­te dans la bergerie de l’être, et d’apprivoise­r l’un à l’autre en citant et analysant abondammen­t la littératur­e neuroscien­tifique : grâce à son entremise et son expertise, il parvient du coup à la rendre plus intelligen­te aux questions de l’art qu’elle ne l’est. Examinant successive­ment les questions de l’attention et de la perception, de l’émotion et du plaisir, Schaeffer retrouve ainsi cum grano salis des modèles neuropsych­ologiques pour chaque grand problème de l’esthétique, tel le plaisir tragique chez Aristote ou l’héautonomi­e du jugement kantien, tous sauvés par le « calcul hédonique », la « fluence » et la « signalisat­ion coûteuse ». Le chapitre conclusif est le plus passionnan­t, qui se place sur le terrain ethnologiq­ue de la séduction, du rite et du jeu en proposant de comprendre l’expérience esthétique comme une « situation d’immersion » mimétique où « créateurs, concurrent­s et admirateur­s […] expériment­ent l’oeuvre comme agentivité qui les implique ».

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