L’Expérience esthétique
Gallimard Quinze ans après son Adieu à l’esthétique, Jean-Marie Schaeffer revient sur les lieux du crime pour continuer à penser une catégorie condamnée aussi bien par la philosophie analytique que les cultural studies. Le titre peut même sonner comme une provocation, puisque l’existence d’une « expérience esthétique », c’est-à-dire d’un rapport particulier à l’art qui ne serait ni une sous-catégorie du cognitif, ni une simple vue de l’esprit des Lumières, est souvent niée. Schaeffer ne lâche cependant rien ici sur la singularité, le caractère « épiphanique », ni la forme « désintéressée » de l’expérience, puisqu’il redit qu’elle « a pour condition qu’on s’y adonne sans autre but immédiat que cette activité elle-même », ce qui en fait un objet à part. Le philosophe a choisi de faire entrer le loup cognitiviste dans la bergerie de l’être, et d’apprivoiser l’un à l’autre en citant et analysant abondamment la littérature neuroscientifique : grâce à son entremise et son expertise, il parvient du coup à la rendre plus intelligente aux questions de l’art qu’elle ne l’est. Examinant successivement les questions de l’attention et de la perception, de l’émotion et du plaisir, Schaeffer retrouve ainsi cum grano salis des modèles neuropsychologiques pour chaque grand problème de l’esthétique, tel le plaisir tragique chez Aristote ou l’héautonomie du jugement kantien, tous sauvés par le « calcul hédonique », la « fluence » et la « signalisation coûteuse ». Le chapitre conclusif est le plus passionnant, qui se place sur le terrain ethnologique de la séduction, du rite et du jeu en proposant de comprendre l’expérience esthétique comme une « situation d’immersion » mimétique où « créateurs, concurrents et admirateurs […] expérimentent l’oeuvre comme agentivité qui les implique ».