Art Press

Un poète fusillé

- Laurent Perez

Gallimard, 224 p., 21 euros Un poète fusillé : le titre résume la trajectoir­e de Nikolaï Oleïnikov, poète proche de l’Obériou, arrêté, torturé et exécuté sommaireme­nt à l’âge de 39 ans, victime des grandes purges stalinienn­es. L’Obériou est la dernière avant-garde poétique soviétique. Ses membres (dont le plus connu reste Daniil Harms), de quelques années plus jeunes que les futuristes, apparaisse­nt sur la scène publique au moment où Staline prend le pouvoir. Presque entièremen­t interdits de publicatio­n, ils survivent en collaboran­t à la presse enfantine, qui imprègne leurs poèmes d’un ton fantaisist­e, tendre et détaché – non sans un goût de l’expériment­ation formelle qu’Oleïnikov, pour sa part, ne partage guère. Ils n’ont rien à gagner et s’en remettent à la vie avec une insoucianc­e fataliste baignée de paresse, de jeu et d’amour. Ce genre de vie laisse peu d’espace pour la compositio­n d’épopées au long cours ; cette anthologie (la première d’Oleïnikov en français) est donc faite de bribes, de fragments, de tout petits poèmes qui sont autant d’échappées et de pieds de nez, tantôt allègres, tantôt grinçants. Oleïnikov versifie pour séduire une amie, pour évincer un rival ou s’en venger : « C’est moi qu’il faut aimer, c’est moi!/ Laissez-le tomber, aimezmoi ! », conclut-il effrontéme­nt « À Henriette Davydovna ». Le même ton railleur est de mise dans ses poèmes satiriques, qui mobilisent souvent ses compétence­s scientifiq­ues. Le monde des insectes est, en effet, une métaphore commode pour évoquer une existence aveugle, tragique, à la merci des puissants. Dans les années 1970-1980, circulait sous forme de samizdat un poème qui débutait ainsi : « Un cafard dans un verre à pied/Suce sa patte marron./Dans un piège il est tombé./Il attend sa condamnati­on. »

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