Les Exozomes
P.O.L, 176 p., 13 euros Figure de la lecture-performance, Charles Pennequin est d’abord une voix débâillonnée, véhémente et envoûtante. Le lire, c’est l’entendre, et donc se frotter à la rugosité d’un besoin de parler. Cette voix, il la trempe dans le cambouis d’une machinerie corporelle qui débite, s’emballe, susurre, gargouille et expectore. La matière première de ce livre, c’est une soirée de fin d’été, bien arrosée, avec Ronron le romancier et sa femme, ainsi que le Crabe, le Capitaine Fendu et le Chefaillon. Le lendemain, le narrateur se réveille à même le sol et ne se rappelle plus de rien. Il décide de recoller les morceaux de cette folle soirée avec les souvenirs des autres, mais passés au filtre de ses angoisses et de son imaginaire sans frein. Le bruit de fond commence alors à s’organiser et se transforme bien vite en une masse d’une générosité encombrante qui emporte tout sur son passage : « on a affaire qu’à des paroles, à des torsions dans l’air et des corps qui s’agitent en ouvrant la bouche ». Dans cette agitation burlesque qui emboîte à l’emporte-pièce des histoires extravagantes, Pennequin plonge dans les zones névralgiques, noires et stagnantes, mais aussi éclairantes et palpitantes du genre humain, composé notamment de ce qu’il nomme les « exozomes », tous les autres « pas de chez nous » forcément différents et pourtant « tout pareils », avec leur besace pleine de grandeur et de bassesse, de raison et de folie, de fulgurance aveuglante et d’amour contrarié. Il le fait sans complaisance, mais en s’exposant dans une nudité qui sonne juste. Il capte ainsi cette verdeur complexe de la vie qui passe par tout un éventail d’accidents, saillies et reliefs, chacun y jouant sa note tout en participant à ce « retraitement » constant, toujours au bord de l’effondrement.