L’Atelier du silence
Loubatières, 736 p., 29 euros Les sept volumes de l’Europe et la Profondeur traçaient la généalogie de la civilisation européenne à partir du départ du Christ. Ils décrivaient une humanité saisie par la peur à l’idée de l’enfoncement sans recours dans la profondeur que le retrait de Dieu a inauguré. Cette sonde monumentale dans le gouffre du temps et de l’espace ne suffisait pas. Elle nécessitait encore des déplacements, des digressions et des lignes de fuite, pour habiter cet atelier du silence en quête du « pur insurveillé » (Rilke). Dans ce nouveau livre, Pierre Le Coz distingue nettement la pensée biblique, qui envisage l’homme comme explicite intention divine, de la pensée clôturée, qui considère le monde comme produit de la seule volonté humaine. Le Coz retourne au centre, au sens à donner à ce qui est déjà donné, par exemple dans un tableau de Vermeer (son Art de la peinture), dans les Élégies de Rilke, ou encore dans toute oeuvre et méditation, quand temps et espace s’éternisent. « Dieu se tait », et c’est ce mutisme qu’il s’agit de faire entendre en se faisant arpenteur du divin. La traversée du négatif – la description étendue de la clôture babélienne pour qui le monde est marchandise et négoce – nécessite cette reprise méditée. S’inscrire dans l’Ouvert – dans la banalité sublime – c’est accepter d’être confronté à l’évidence des choses, à leur surgissement mystérieux et épiphanique, « fontaines » ou « fleurs » qui composent, comme un bouquet, ce monde. L’Ouvert est le nom poético-philosophique de l’Éden, celui de l’écoulement et du fleurissement infinis et muets. Et le péril actuel, qui va s’accélérant, celui de « la détresse de l’absence de détresse » (Heidegger) n’est pas tant d’oublier le paradis que de ne plus être angoissé par cette perte.