Histoires d’oeils
Grasset, 272 p., 20 euros Condition insoupçonnée et fascinante que celle d’être un « oeil », un métier, une pratique, tout un art qu’exercent au quotidien certains historiens d’art. Philippe Costamagna, spécialiste de la peinture florentine et directeur du musée des beaux-arts d’Ajaccio, est un « oeil », comme on dit un « nez » en parfumerie. Quel est ce travail d’expert au nom surprenant, et qui ne possède qu’un lointain terme équivalent en anglais, connoisseurship ? Entre un explorateur à la Christophe Colomb et un enquêteur à la Sherlock Holmes, un oeil est un découvreur qui, par l’alchimie singulière du savoir et de la sensibilité, observe et révèle des chefsd’oeuvre cachés: « Celui que j’appelle oeil a pour fonction de découvrir des paternités aux tableaux à partir de son seul regard. Sa tâche est de voir. L’oeil table sur des coups de théâtre », précise Costamagna qui, dans son récit intime Histoires d’oeils, associe les ingrédients, personnels et professionnels, qui ont produit en lui ce mélange de culture et de sensibilité pour faire de lui un oeil. Retour sur les origines familiales, la formation intellectuelle et la curiosité esthétique. Comment un oeil est-il confronté à une oeuvre dont il est le seul à pouvoir reconnaître l’auteur ? L’oeil observe, et l’observation déclenche un processus dans la mémoire. Son sens affiné de l’analyse décompose la peinture qu’il regarde en un ensemble de traits distinctifs dont il fixe la place au sein d’une constellation. Ainsi, sur la Côte d’Azur en octobre 2005, Costamagna découvre par hasard un tableau qui se révélera être un Christ en croix de Bronzino, peint par l’artiste à l’intention de la famille florentine des Panciatichi, vers 1540, une oeuvre jusqu’alors perdue. Silence époustouflé. « Ce fut un moment indescriptible », conclut Costamagna.