Dans les ex-pays de l’Est verbatim et travail sur la mémoire
Verbatim and the Work on Memory in the Former Eastern Bloc.
À la suite du courant Verbatim né dans l’Angleterre des années 1970 (qui met au point, grâce au magnétophone, une méthode d’enquête sur les gens ordinaires), le théâtre documentaire a commencé à se développer en Russie dans le sillage d’ateliers organisés à Moscou après la perestroïka par le Royal Court Theatre de Londres et son programme de formation à l’écriture dramatique. À Moscou, le courageux teatr.doc, fondé en 2002, s’est spécialisé dans l’écriture de textes enregistrés sur le vif et sur des sujets d’actualité peu ou non traités par les théâtres institutionnels (en 2005 : septembre.doc, texte de Elena Gremina, sur la tragédie de Beslam – prise d’otage d’enfants dans une école par des terroristes tchétchènes – à partir de réactions collectées sur des forums internet ; doc.tor, texte de Elena Isaeva, sur la quotidien des médecins). Les spectacles sont présentés dans une salle de petite jauge, dans une mise en scène minimale. Depuis 2015, après avoir montré des extraits d’un film sur les événements du Maïdan en Ukraine, le teatr.doc a dû déménager du centre-ville, dans une salle plus vaste. Mais le mouvement s’étend progressivement : à Moscou, le Théâtre Praktika programme des « tchelovek.doc » ( homme.doc) où des acteurs jouent sans affect la biographie complexe d’artistes contemporains connus. En 201415, le Verbatim enquête fébrilement sur l’état de la Russie : de nombreux spectacles sont construits à partir d’entretiens avec des habitants de Moscou (C’est aussi moi, École-studio du Théâtre d’Art), de Voronej (le Jour de la ville, Théâtre de Chambre) ou de Komsomol-sur-Amour (Je suis, Théâtre Knam). « NETTOYER L’HISTOIRE » En Roumanie, des collectifs d’acteurs remplissent, à partir d’archives et de témoignages, les pages blanches de l’histoire communiste. Ils aident à ranimer les mémoires brisées. Ainsi, Gianina Carbunariu, jeune auteure (1) et metteure en scène, qui a obtenu une bourse de résidence au Royal Court Theatre, travaille avec son groupe DramAcum (créé en 2002). Elle est un des leaders de la création contemporaine dans le théâtre roumain. Un de ses spectacles, X mm de Y km (2012), se construit à partir d’une dizaine de pages d’archives tirées du volumineux interrogatoire de l’écrivain Dorin Tudoran par la Securitate. Dans une mise en scène où les comédiens changent constamment de rôles, elle donne à entendre les variantes possibles de la lecture de ces pages. Le spectacle laisse penser que le document écrit ne fournit qu’une partie de l’information, et la proposition artistique peut même inciter les chercheurs à se poser de nouvelles questions face aux documents. Davantage encore, pour ses spectacles, les acteurs peuvent mener euxmêmes des enquêtes de terrain et créer ainsi de nouvelles archives. Les pièces de Carbunariu – plus d’une vingtaine –, n’appartiennent pas toutes au genre documentaire, mais se nourrissent d’une documentation acérée sur l’état de la Roumanie et ses relations avec l’Europe ; elles sont jouées dans de nombreux festivals internationaux. On peut aussi évoquer le travail d’une autre jeune artiste de théâtre, Nicoletta Niculescu, et sa mise en scène de Clear History (Kichinev, 2012), centré sur le rôle de l’armée roumaine dans l’extermination des Juifs en Transnitrie, occulté par l’histoire officielle. Il s’agit, sur la base d’entretiens et de témoignages, de « nettoyer l’histoire ».