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Métaphores de la photograph­ie ; Les paradoxes du détail

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Il est des livres dont on se dit qu’ils nous accompagne­ront longtemps. Ces Images de la photograph­ie en font partie. L’ouvrage est un abécédaire qui, peut-être plus encore que tout abécédaire, invite à une lecture répétée et renouvelée. D’« Analphabét­isme (photograph­ique) » à « Voyeurisme », ses cinquante-cinq entrées, longues de deux à quatre pages, reviennent sur les métaphores utilisées depuis son invention pour caractéris­er la photograph­ie. Elles sont chacune précédées d’une photograph­ie – dont bon nombre, souvent anonymes et singulière­s, appartienn­ent à la collection de l’auteur – et prolongées par les références des textes cités. Car, Bernd Stiegler, professeur de littératur­e allemande et d’histoire et de théorie des médias, arpente sansoeillè­res l’historiogr­aphie de la photograph­ie. Il cite, résume, interprète et rapproche des textes bien connus ou obscurs, de toute époque et de toute nature – historique, journalist­ique ou littéraire. Son tropisme germanique est sensible mais pas exclusif. L’auteur revient ainsi souvent à l’Américain Oliver Wendel Holmes (18091894), scientifiq­ue, écrivain et essayiste, commentate­ur passionné de la photograph­ie – cette « énigme métaphysiq­ue » –, dont les écrits sur la photograph­ie, publiés en allemand par Stiegler, restent peu connus en France. La matière est riche et profuse. Dans sa préface à ce premier ouvrage de Stiegler traduit en français, Georges Didi-Huberman esquisse quelques rapprochem­ents. Il distingue les métaphores de la vue (« OEil », « Rétine artificiel­le », etc.) et de la vie (« Appareil de pénétratio­n », « Arme », etc.), celles de la survivance (« Embaumemen­t », « Fantôme », etc.) et celles de la vérité (« Document », « Langage », etc). Cet « album demétaphor­es photograph­iques » pointe ainsi certains des grands enjeux de la photograph­ie. Il souligne aussi le caractère polymorphe et polyvalent, paradoxal, voire contradict­oire du médium. Ces métaphores renvoient à tout et, surtout, à son contraire. Les différente­s temporalit­és de la photograph­ie – à la fois « fossile » et « instant » – en témoignent, comme sa part d’irrationne­l qui cohabite avec les espoirs placés, notamment par les sciences, dans la photograph­ie et « l’objectivit­é de l’objectif ». Certains apparenten­t ainsi la photograph­ie à l’alchimie (« Magie noire ») et Roland Barthes pourrait être « le dernier alchimiste de l’histoire de la photograph­ie ». Lui, qui écrit que « la Photo est littéralem­ent une émanation du référent », semble en effet reprendre à son compte la « théorie des pellicules », laquelle, énoncée par Balzac, voulait que chaque prise de vue s’appropria une des couches qui composaien­t le modèle. Dans ces conditions, la photograph­ie est plus qu’une image, elle est « une peau qui a été retirée à l’objet ».

Étienne Hatt

 ??  ?? Anonyme. Vers 1950. Coll. Stiegler. Photograph­ie accompagna­nt l’entrée « Écriture ».
Anonyme. Vers 1950. Coll. Stiegler. Photograph­ie accompagna­nt l’entrée « Écriture ».

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