Michel Mazzoni matérialité de l’image
Pour sa troisième publication chez l’éditeur belge ARP2, Michel Mazzoni continue d’investir les pages du livre photographique comme un espace immersif. Dans Gravity, son précédent opus, le photographe rendait hommage à l’univers visuel de la conquête spatiale, agençant des photographies d’archives de la Nasa et des vues très atmosphériques, presque abstraites. Des jeux d’attirances se dégageaient entre les photographies, liées les unes aux autres, comme des galaxies proches, attirées par leurs propres forces de gravitation. Dans la lignée de Gravity, Collisions propose une fascinante expérience perceptive au contact d’un Ailleurs (le Japon), tout en étant une quête de ce qui constitue l’image photographique, sa matérialité, ses conditions d’apparition ou de disparition. En effet, Collisions propose une salutaire méditation sur le statut de l’original en photographie. Dépassant le clivage entre l’analogique et le numérique, Michel Mazzoni brouille les pistes en mélangeant les deux sources d’images et en appréhendant la photographie comme pur phénomène lumineux. Collisions se présente comme un écrin noir de grand format, objet éditorial soigneusement élaboré et imprimé. Cet aspect sophistiqué est parfois éloigné de l’esthétique brute et granuleuse des photographies qui le composent. D’une apparente unité, le livre regroupe pourtant des effets esthétiques variés, tantôt convoquant la fadeur fascinante d’une certaine photographie japonaise, tantôt réactivant la force expressive du négatif, parfois rappelant la photographie française des années 1980 et les théories de Jean-Claude Lemagny défendant la photographie comme « forme de vérité vécue, subjective et discontinue ». Diverses textures de papier permettent de donner corps à des variations allant de noirs mats ou brillants à des blancs diaphanes, en passant par des gris poudreux. Sur ces pages-écrans se déploie une séquence poétique permettant différents circuits de perceptions et de sensations. Liée aux notions d’apparition, d’évanescence ou d’effacement, une indiscernabilité pointe, entre ce qui est réel ou imaginaire, ce qui est proche ou lointain. La séquence du livre se fait parcours sensible, composée d’images vacillantes dont la force réside aussi dans une sensation d’inachèvement et d’imperfection. L’irruption d’une catastrophe guette de manière sourde tout au long du livre, à l’instar de l’unique photographie couleur, montrant les corps gisants de Japonais endormis sur le sol d’un bateau, mais qui semblent irradiés. « Quand je dis lumière c’est le temps que j’invoque », écrivait Denis Roche dans la Disparition des lucioles (rééd. Seuil, 2016). Cela prend littéralement corps dans Collisions. Au fil du livre, des images que l’on croit parfois saisir restent pourtant impalpables ; indiscernables, elles incarnent des éclats du temps, tout autant qu’elles sont des données sensibles, fondement d’un acte de vision poétique.
Anne Immelé