Caméra(auto)contrôle La Mémoire du futur
Centre de la photographie / 1er juin - 31 juillet 2016 Musée de l’Élysée / 25 mai - 28 août 2016 Visiter coup sur coup la Mémoire du futur au musée de l’Élysée de Lausanne et Caméra(auto)contrôle au Centre de la photographie de Genève permet, à qui ne craint pas les grands écarts, d’embrasser tous les états et les usages de la photographie. En effet, si la première revient sur des techniques préindustrielles dont les nombreuses manipulations donnent à la photographie une épaisseur, la seconde comprend surtout des images pauvres produites automatiquement par des caméras de surveillance ou frénétiquement par nos téléphones portables. Aussi différents soient les travaux présentés, les deux expositions rappellent l’emprise du dispositif sur l’image, y compris quand l’artiste entend le subvertir. Première exposition au musée de l’Élysée de Tatyana Franck, sa nouvelle directrice, la Mémoire du futur se veut programmatique. Sous-titrée Dialogues photographiques entre passé, présent et futur, elle fait du musée autant un lieu de conservation que d’expérimentation. Elle puise dans ses riches collections et n’hésite pas à présenter de manière interactive une nouvelle technologie de numérisation 3D. L’exposition révèle une lecture de l’histoire de la photographie hantée par ses techniques et ses images réutilisées et réinterprétées par les artistes contemporains. Cette conception « atemporelle » ou « intervisuelle » fait se succéder des salles qui, dédiées aux différentes techniques préindustrielles, confrontent réalisations anciennes et contemporaines. L’exposition permet de préciser que le retour des techniques anciennes est antérieur au numérique auquel il réagirait. C’est dès les années 1980 que Patrick Bailly-Maître-Grand en France ou Jerry Spagnoli aux ÉtatsUnis redécouvraient le daguerréotype. Sans doute étaient-ils stimulés par le nouveau regard patrimonial porté par les institutions sur le médium. Aujourd’hui, il s’agit bien de privilégier la lenteur des gestes, d’ajouter de la matière à l’image et de lutter contre sa « fluidité numérique », pour reprendre les mots d’André Gunthert, mais aussi de renouer avec une précision qui s’est ensuite perdue. Le rapport aux techniques anciennes est donc moins fétichiste qu’utilitaire. Il est aussi volontiers hybride. Martial Verdier produit ainsi des « calotypes assistés » qu’il retouche numériquement. La deuxième partie de l’exposition, sur la réinterprétation d’oeuvres historiques, confirme l’absence de purisme. La première photographie, le Point de vue du Gras (1826) de Nicéphore Niépce, y est reconstituée en une mosaïque d’images récupérées sur internet par Joan Fontcuberta, ou traduite en son code alphanumérique par Andreas MüllerPohle. Pourtant, certains travaux contemporains sont loin de cette nécessaire actualisation. Les ferrotypes de surfeurs de Joni Sternbach sont seulement anachroniques et ces techniques ne semblent pas toujours aussi justifiées que chez Israel Ariño, qui a trouvé dans l’ambrotype une matière propice aux légendes qu’il met en scène. Si on peut reprocher une certaine sagesse au déroulé de la Mémoire du futur, c’est la critique inverse qui pourrait être faite à Caméra(auto)contrôle, exposition cloud qui laisse au visiteur le soin de tirer ses propres fils dans une matière dense, hétérogène et vibrionnante. Son originalité est d’étendre la notion de contrôle à la sphère privée et de soulever ce paradoxe: comment peut-on refuser de sourire aux caméras urbaines et accepter de se livrer ainsi sur internet? Joerg Bader, directeur du Centre de la photographie dont la ligne est assez politique, ne cache pas son militantisme. On peut s’amuser avec lui de cette caméra de contrôle hors de contrôle dont les mouvements incohérents sont filmés par Rubens Mano. Mais on pourra aussi regretter, dans ces conditions, que le hacking ne soit pas davantage représenté. Sans remonter à Alphonse Bertillon et aux origines du contrôle par l’image, l’exposition présente des travaux historiques, comme les 29 Arrests (1972) de Fred Lonidier, qui par son caractère sériel rend compte du fichage photographique répété de la jeunesse américaine opposée à la guerre du Vietnam. Parmi les travaux récents, on retiendra moins ceux, voyeuristes, qui critiquent l’exhibitionnisme des réseaux sociaux (Joao Castilho) – l’inverse vaut aussi (Ann Hirsch) – que ceux autour de Google Street View. Ce service de navigation, avatar moderne de la street photography, fait l’objet des détournements les plus productifs, dont l’excellent Monsieur Google, à qui appartient la réalité ? (2013) de JeanMarc Chapoulie, « thriller électronique » et plongée absurde dans la machine Google.