Bernard Rancillac
Galerie Jean Brolly / 24 novembre - 30 décembre 2016
On ne présente plus Bernard Rancillac, artiste majeur de la seconde moitié du 20e siècle et figure majeure, dans les années 1960, de la Nouvelle Figuration. Ce courant pictural, dynamique et engagé à gauche, crée des images de la réalité contemporaine mais, comme le dira Pierre Bourdieu, sur le mode du « pléonasme ». Guerre froide, conflit du Vietnam, agitation de Mai 68, maoïsme, impérialisme américain… sont passés au crible d’une création qui explore la duplication dans la perspective du second degré critique. Images lisibles, narratives autant qu’anti-conceptuelles, où bruit la fureur du présent. La Peau du monde, cycle entrepris en 2010, présenté pour la première fois à Marrakech, surprendra quiconque a gardé de Bernard Rancillac le souvenir du peintre pressé des Mickeys, du Détachement féminin rouge et autres musiciens de jazz brossés à l’acrylique. La peinture ? Pas de peinture. S’exposent de simples châssis recouverts de toile imprimée, de celle que l’on trouve sur les marchés du monde entier, du Pakistan à Saint-Denis. Par dizaines, bien rangés les uns près des autres, parfois disposés en diptyques ou en triptyques. La Peau du monde? L’artiste suggère que cette collection de tissus en tient lieu, tout comme naguère le Mimetico (1966) d’Alighiero Boetti, simple toile militaire accrochée contre un mur, pouvait suffire à évoquer l’atmosphère guerrière de la fin des années 1960. Pour comprendre cette oeuvre, on conseillera l’excellent texte de Bernard Collet livré en 2010 lors de la première présentation de la Peau du monde. L’auteur y fait le lien entre les premiers travaux picturaux de Rancillac, déjà curieux du devenir du monde, et cette série de travaux récents aussi radicale que très actuelle. Ici, le sujet mis en image, relève Collet, a disparu mais il reste l’enveloppe, ce tissu dans lequel les corps sont gainés. Un tel appui mis sur l’absence du corps aurait un rapport avec les usines à produire de l’oubli et de la disparition propres au 20e siècle, tel Auschwitz. Mais pas seulement. La Peau du monde, c’est aussi le signe, en creux, qu’il demeure des corps, en nombre, partout, une peuplade vitale que le tissu, de façon métonymique, vient inscrire dans ces toiles simplement tendues sur châssis sans autre intervention de l’artiste, en dépit de leur planéité. Cette lecture pourrait tenir de l’extrapolation. Et, en effet, on ne voit que des tissus présentés tels quels et rien d’autre. Mais les oeuvres d’art sont des filigranes. Seraient-elles les plus planes qui soient, elles contiennent, elles incarnent inévitablement. La Peau du monde, à ce titre, se présente comme un ensemble certes sibyllin, mais dont l’ouverture est l’équivalent d’un appel d’air – sur la mondialisation, sur la production, sur l’échange, sur les déplacements, sur le destin des corps à l’âge des masses, sur leur néantisation aussi. Chacun sa perception. Notons que le Musée de la Poste (Paris) présente, du 21 février au 7 juin, une rétrospective de l’artiste.
Paul Ardenne Bernard Rancillac, now recognized as one of the important artists of the second half of the twentieth century, was a major figure in the Nouvelle Figuration school of painting during the 1960s. Its members produced lively and politically partisan images of contemporary reality in what Pierre Bourdieu would have called a pleonastic mode. The cold war, Vietnam, the May 1968 upheaval, Maoism, American imperialism—it was all grist for their mill, a close examination of the times using duplication to produce an ironic, critical distancing. The opposite of conceptual art, the images and the narratives they clearly conveyed were full of the sound and fury of that moment. La Peau du monde, a cycle begun in 2010 and first shown in Marrakech, will come as a surprise to anyone who thinks of Rancillac as the painter of zippy acrylics of MickeyMouse, the Red Detachment of Women and jazz musicians. First, there’s no paint in these pieces. They are just stretchers covered with printed fabric, the kind found in teeming open-air markets all over the world, from Pakistan to northern Paris. There are dozens of them hanging in rows, sometimes arranged in diptychs and triptychs. The show’s title suggests that this collection of fabrics is just that, just as the sheet of camouflage canvas hung on a wall in Alighiero Boetti’s Mimetico (1967) was enough to convey the military atmosphere of the late 1960s. Those who want to get what’s going on here will find counsel in the excellent text Bernard Collet wrote for the first edition of La Peau du monde in 2010. It connects the early work of Rancillac, already pondering the world’s future, and this recent series that is as radical as it is timely. The subject has dropped out of the picture, Collet notes, but what remains is the skin, the fabric that once enveloped the bodies. This reliance on the absence of the body brings to mind the factories of disappearance and oblivion that marked the twentieth century, of which Auschwitz is a prime example. But that’s not all. The skin of the world also signifies, implicitly, that bodies remain everywhere, in great number, a living populace metonymically represented by sheets of fabric mounted on stretchers with no other intervention by the artist, despite their flatness. This reading may be an extrapolation. Actually, all we see are pieces of fabric presented as such and nothing else. But artworks are charged with meaning because they connect with things. Nomatter how flat they may be, they inevitably contain and embody something. La Peau du monde, in this case, may be sibylline, but as an ensemble it is an opening through which the wind rushes in—the wind of globalization, production and exchange, displacement, the destiny of the body in the age of the masses and their reduction to nothingness. Everyone has their own perception. Note that the Musée de la Poste (Paris) will present a retrospective of Rancillac’s work from February 1 through June 7, 2017.
Translation, L-S Torgoff