Erwan Venn
La Conserverie / 3 décembre 2016 - 4 février 2017
C’est dans l’espace intimiste de La Conserverie qu’Erwan Venn déploie les images en noir et blanc d’un projet dantesque intitulé Headless. Initié en 2011, Headless repose d’abord sur une intuition, celui d’un lourd secret qui plane depuis longtemps sur sa famille. Une intuition qui s’est matérialisée par la découverte d’une boîte Kodak datée de 1925, remplie de négatifs photo- graphiques. La boîte est mise de côté. Quelques mois plus tard, Venn découvre un document, une carte d’identité, un ausweis allemand daté du 30 juin 1940. Le document indique la mention « ravitaillement de vin ». Le secret de famille est mis à nu : son grand-père, alors marchand de vin en Bretagne, a collaboré économiquement avec les nazis. L’artiste reprend alors la boîte de négatifs photographiques pour comprendre le parcours d’un homme, un grandpère qu’il n’a pas connu, et la France de 1940. La trajectoire individuelle est mise en regard du récit de l’Histoire nationale. L’artiste scanne les négatifs, reconstitue le fil d’une histoire complexe. Du Petit Séminaire à la vente de vin, en passant par différents voyages en France et en Algérie, les images, prises par son grandpère, des amis ou bien d’autres membres de la famille, retracent, fragment par fragment, quarante années d’une vie. Sur l’écran de son ordinateur, Venn décide de retravailler et de retoucher les images en noir et blanc. Il prélève la peau, les bras, les jambes, les visages. Ces figures sont réduites à leurs vêtements, à leur rôle, leur métier, leur genre. Les curés, privés de leur visage et de leur peau, sont réduits à leur soutane noire et à leur chapeau. Les demoiselles d’honneur, assises en couronne, se résument à des robes blanches et à des colliers de perles. La présence des oncles et des tantes à la plage est signalée par des maillots de bain flottant au-dessus de la mer. L’artiste les transforme en présences fantomatiques, à l’image de ce secret qui pesait sur lui et sa famille depuis plusieurs décennies. Venn se joue des images en présentant ce secret tantôt sous la forme de petits et moyens formats, tels des albums de famille, tantôt sous la forme de papier peint, où les figures, quasiment à échelle 1, génèrent un rapport physique avec le regardeur. L’artiste articule ainsi des passages créant différents rapports aux images, à la fois intimes et spectaculaires. Parmi les photographies, une oeuvre détonne, un visage nous dévisage, celui d’un enfant doté d’un regard étrangement lumineux et inquiétant. Il s’agit d’un dessin réalisé à partir d’un portrait du grand-père, alors âgé de cinq ans. Ces présences fantomatiques nous questionnent ainsi sur les notions de secrets de famille, de traumatismes reçus en héritage, de monstres cachés dans nos placards, de résilience et de capacité à transcender les blessures invisibles.
Julie Crenn The intimate space of La Conserverie is where Erwan Venn spreads out the images of his titanic Headless project, inspired by the sense of a gloomy secret that long haunted his family. This intuition found confirmation when he discovered a Kodak box from 1925 full of negatives. He set it aside. A few months later, Venn then discovered a document, an ID card, a German Ausweis dated June 30, 1940 and bearing the words “wine supply.” There it was, this family secret: his father, a wine merchant in Brittany, had collaborated economically with the Nazis. Venn went back to the negatives to better understand his grandfather’s story, and to set it in the context of French national history. Scanning the images, he traced a complex tale that took the man from Catholic junior school to selling wine, via travels in France and Algeria: forty years of a life, fragments in photos taken by his grandfather, friends or family members. Venn decided to rework these black-and-white images on his computer, taking out skin, arms, legs and faces, reducing the figures to their clothes, their role, their trade, their gender. Curates are no more than a black soutane and hat: the faces and skin are gone. Bridesmaids, sitting in a circle, are just white dresses and pearl necklaces. Uncles and aunts on the beach are mere swimsuits floating over the sea. The artist transforms all these individuals into ghostly presences, just like the secret that hung over the family for several decades. Venn plays with his images, sometimes assembling them in small formats like a family album, sometimes turning them into wallpaper, almost life-size, creating a direct physical relation to the beholder. In this way he offers a series of atmospheres, from the personal to the spectacular. One of the photographs in particular stands out. A face, that of a child, seeming to stare at us with a strangely luminous, disturbing gaze. This is a drawing made from a photo of the grandfather aged five. The ghostly presences here question about the notion of family secrets, of traumas passed on from generation to generation, of skeletons in the closet, of resilience and the ability to transcend invisible wounds.
Translation, C. Penwarden