Art Press

Philippe Azoury

Jim Jarmusch, une autre allure Capricci, 112 p., 8,95 euros

- Laurent de Sutter

Philippe Azoury appartient à un univers aussi rare que fragile : celui des derniers modernes, hantés par le souvenir d’une époque où les seules choses qui intéressai­ent les artistes étaient l’espace et le temps – une époque où l’art se disait d’abord par sa retenue. Jim Jarmusch, une autre allure, la ballade théorique qu’il consacre à l’oeuvre du cinéaste qui, dit-il, l’intimide le plus, s’ajoute à ses écrits sur Fantômas ou le Velvet Undergroun­d, Werner Schroeter ou Philippe Garrel, pour dessiner, de cette modernité, les contours rêvés. Ce sont des contours tracés d’un geste précis et sec, un geste de peintre zen, dont la poésie naît de son étrange adéquation avec le projet esthétique que défendent ceux qu’il choisit de défendre, le temps d’un livre ou d’un article. Surtout, ce sont des contours qui refusent la vulgarité d’être autre chose que cela : une simple esquisse, livrant la singularit­é d’un regard à ceux qui ont déjà accompli la moitié du chemin – une sorte de croquis faisant du non finito son principe essentiel. C’est peu dire que, sur Jarmusch, Azoury est insurpassa­ble, et que l’élégance retenue qui caractéris­e tous ses écrits s’y retrouve comme démultipli­ée, contaminée qu’elle est par les images du cinéaste qui lui ressemble le plus – à moins que ce ne soit l’inverse. La modernité de Jarmusch, faite de silence, d’une mélancolie douce, d’échos d’americana, et de l’assomption de ce que le cinéma est avant tout un art des fantômes vivants, est la sienne propre : celle d’un âge qui sait sa disparitio­n inéluctabl­e. Aucun regret, pourtant, aucune tristesse dans les pages de Jim Jarmusch, une autre allure ; seulement le swag un peu désabusé du poète sachant, comme les vampires de Only Lovers Left Alive, qu’il a l’immortalit­é pour lui, mais qu’il est le seul à le savoir.

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