B. Colomina, N. Jankovic
L’Univers Playboy B2, 256 p., 28 euros
À distance de Beatriz Preciado qui assimilait, dans Pornotopie, l’univers Playboy à un « bordel multimédia » (les manoirs de Hugh Hefner, fondateur du magazine, comme dispositifs de contrôle des corps et de la sexualité), les recherches de Beatriz Colomina et Nikola Jankovic s’inscrivent d’abord dans une logique historienne et culturelle. L’ouvrage explore en détail les paradoxes de la société américaine de l’après-guerre (hédonisme et pudibonderie, libéralisme et conservatisme), montrant la collusion qui s’opère entre le mode de vie fantasmé par Hefner et les médias de masse, entre l’image de l’architecte et celle du playboy, exploitant une vision édulcorée, objectivée et rétrograde des femmes. L’aventure Playboy signe selon Jankovic le passage d’une « architecture de papier » (l’idée d’« animer l’architecture » dans le magazine à travers une scénarisation de la stratégie de séduction masculine, en utilisant le design moderniste) à sa réalisation via les deux manoirs de Chicago et Los Angeles où vivra et travaillera Hefner. Dans sa préface, Colomina affirme ainsi que Playboy aura été plus important en matière de diffusion et promotion de l’esthétique moderniste que les magazines spécialisés. Surtout, Hefner serait, par sa volonté de publiciser l’architecture et l’espace intérieur, domestique, le précurseur de notre réalité contemporaine, dans laquelle la « diffusion de soi » via les médias sociaux est devenue une occupation majeure pour des millions d’individus. Cette transformation s’opère dans l’univers Playboy à travers l’image du lit, devenu « centre de l’univers » : un lit « connecté », où toutes les activités se mélangent (travail, loisirs, sexualité, vie sociale). Comme une sorte d’idéal de maîtrise de l’espace privé dans un monde de plus en plus soumis à l’incertitude.