Michel Journiac il n’y a pas de corps indifférent Report on Michel Journiac. Guitemie Maldonado
S’il est un artiste auquel l’oeuvre est associée à l’exposition de son propre corps, c’est bien Michel Journiac. Elle en constitue l’essence, notamment sous la forme de la trace photographique de ses interventions et de ses actions. Aussi est-ce dans la section intitulée « Le corps » que se tiendra une rétrospective de son travail à la Maison européenne de la photographie, à Paris, du 19 avril au 18 juin, dans le cadre du Mois de la photo du Grand Paris. Mais Journiac fut aussi poète, peintre, enseignant, critique et théoricien, et c’est dans cet ensemble que réside la cohérence d’une oeuvre à redécouvrir.
Si l’on ne saurait expliquer tout d’une oeuvre par le contexte dans lequel elle a vu le jour, il n’en reste pas moins éclairant de se rappeler que celle de Michel Journiac (19351995) est, selon les mots de Vincent Labaume, « née dans le bouleversement de la révolte anti-consumériste et anti-étatique des années 1960, pour en précipiter avec une vigueur incomparable les ferments libérateurs dans l’époque conformiste suivante » et que ses dernières décennies ont été marquées par le développement et l’identification de la pandémie de sida : « Pour les plus proches, pour les premiers et les meilleurs témoins de son oeuvre, ce serait la vie elle-même qui, de manière inconcevablement massive, viendrait à manquer soudainement, se dérobant sous les pieds d’une génération entière, abattant aveuglément leurs corps au jeu de massacre effroyable d’une épidémie de Moyen Âge (1). » De Mai 68 au scandale du sang contaminé : bien sûr, le raccourci est par trop réducteur pour caractériser une oeuvre éminemment plastique ; il construit néan-
moins pour elle, disons, une caisse de résonance et permet d’en indiquer l’une des composantes essentielles, à savoir l’engagement. L’oeuvre polymorphe de Journiac – de la peinture de ses débuts à ses actions, récits photographiques ou sculptures –, mais aussi ses activités de critique, d’enseignant, de théoricien (en 1971, il fonde la revue ArTitudes avec François Pluchart et promeut l’art sociologique) se montrent en effet toutes en constant dialogue avec les idées et débats de l’époque, que ceux-ci relèvent des mutations sociétales et de la politique, de la psychanalyse, de l’histoire ou de la philosophie. JOURNIAC, LE NOM À parcourir les traces photographiques de ses différentes interventions ou actions, on sera peut-être frappé par la présence récurrente du nom Journiac, le plus souvent sans le prénom : il est inscrit au dos de la combinaison blanche sur laquelle est installé le jeune homme dans la cage lumineuse de Piège pour un voyeur (1969) ; il est apposé sur le haut de la façade du Distributeur automatique d’oeuvres d’art (1970), affiché au mur de la cour de la galerie J& J Donguy où se déroule l’Action- Meurtre (1985) ; il figure en lettres lumineuses type enseigne commerciale au mur du Stand Journiac (1969) et orne encore le centre de la couronne mortuaire de l’Enquête sur un corps (1970). Martelé depuis les affiches jusqu’aux bulletins de vote, en passant par les cartes d’électeur et le procèsverbal établi à l’issue du dépouillement, c’est d’ailleurs ce nom même qui semble être l’unique question soumise au Référendum Journiac en 1970. Car s’il surgit avec une telle régularité, il le fait toujours précisément sous la forme d’une question et sur le mode de la dissémination, jamais celui de la certitude satisfaite – l’artiste fait trop peu de cas de la prétendue célébrité, comme il le prouve en 1969 avec sa Lessive de banals vêtements étiquetés aux noms de fameux artistes, traités sans plus d’égards que n’importe quel anonyme. Dès lors, on s’amusera à le débusquer sous ses divers travestissements, ce Journiac – en cadavre, en Dieu, en voyou, en supplicié, en femme, voire en Journiac ( Contrat de Prostitution, 1973) – ou à se prendre lui-même pour cible, dans Action-Meurtre, quand il tire au revolver sur la tête d’un mannequin à sa propre effigie. D’occurrence en occurrence, un Journiac se dessine, à l’identité générique, voire aléatoire ( Rituel d’identité aléatoire, 1976), instable en tous les cas ou suscitant le doute : on relèvera ainsi un détail dans l’Inceste, action photographique de 1975 où, avant d’interpréter pour l’objectif divers trios amants-voyeur, les personnages sont présentés et nommés, père, mère et fils, soit trois « journiac » sans majuscule, dont deux précédés de la même initiale « r. ». Qui plus est, le prénom de la mère, Renée, entier dans les légendes de l’Hommage à Freud (1972) est mixte à l’oreille. Le nom tient donc en définitive à l’individu autant que le rôle, ni plus ni moins. L’identité, qu’elle soit le fruit de la filiation ou l’oeuvre de la société, est toujours le résultat d’un marquage et si Journiac répète son nom de famille d’une action à l’autre, c’est pour mieux l’inventer hors des carcans et des déterminations, quels qu’ils soient : « S’il y a une histoire de l’homosexualité, déclare-t-il, c’est qu’elle a été nommée à un moment donné, et à ce moment-là, elle est devenue une identité, et cette identité a été revendiquée. Mais je la revendique comme une interrogation pour une autre manière de rencontrer l’autre, qui est à inventer. » Au fil de ces innombrables permutations et transformations, le corps à l’évidence demeure : au niveau le plus superficiel, on identifie en effet sans peine la corpulence, l’allure, les postures, sans parler du visage de l’artiste, sur les photographies de ses