Billie Zangewa Julie Crenn
Julie Crenn
Les tapisseries brodées et colorées de Billie Zangewa (née en 1973, à Blantyre, Malawi) sont un éloge de l’expérience personnelle, de l’intime, de la féminité et de la blackness. En explorant les images de son corps, de son visage, dans les décors de son quotidien, l’artiste associe avec force une trajectoire critique et politique avec sa propre histoire.
D’une mère sud-africaine et d’un père malawite, Billie Zangewa a grandi dans le Botswana et en Malawi. Très jeune, elle cultive une fascination pour le monde de la mode et se passionne pour les défilés retransmis sur les chaînes spécialisées, dévore la revue Vogue et s’adonne à l’illustration de mode. Plus tard, elle s’installe en Afrique du Sud pour étudier l’art à la Rhodes University à Grahamstown. Le graphisme et les techniques d’imprimerie vont devenir ses spécialités. Elle travaille et expérimente différents supports, notamment les matériaux textiles auxquels elle porte une attention spécifique. Au début des années 1990, elle commence à travailler en tant que styliste et confectionne des sacs en tissu sur lesquels sont cousus et brodés des éléments de la faune et de la flore indigènes du Botswana. Le dessin ne la quitte pas. Progressivement, il prend sa place, l’accessoire de mode n’est plus un prétexte. Au début des années 2000, l’artiste s’engage dans un travail de réinvention de l’art de la tapisserie. Chacune des oeuvres requiert un temps de réalisation important. Avec précision et exigence, elle dessine, découpe, coud, brode et assemble des fragments de soie colorée. La soie, tissu fluide, précieux et érotique renvoie à la tonalité glamour et physique que l’artiste instille dans ses oeuvres. Chaque pièce de soie est littéralement sculptée et devient une tapisserie d’un nouveau genre. Médium de l’Histoire par excellence, la tapisserie n’exprime plus ici la grande Histoire, mais plutôt l’histoire singulière, modeste et individuelle. L’artiste troque ainsi la lourdeur et l’autorité des tapisseries traditionnelles contre la légèreté, la fragilité, la sensualité et la finesse de ses tapisseries de soie.
THE PERSONAL IS POLITICAL !
Les petites histoires génèrent de grands échos. Billie Zangewa fait de son expérience personnelle un sujet exceptionnel. Son quotidien, son image, son intimité, ses histoires d’amour, ses relations à l’autre représentent la matière principale de sa réflexion dont la portée critique n’est pas exclusive. Le versant poétique y est également présent. Une matière qui est aussi un prétexte pour mettre en image différentes projections, réelles ou fictives, où l’artiste se met en « Fire Escape ». 2014. Tapisserie en soie. 108 x 64 cm. Silk tapestry scène dans un décor familier : sa maison, son atelier, son quartier. L’autoportrait domine ainsi l’ensemble de ses oeuvres. Par sa propre image, Billie Zangewa formule des problématiques liées à la représentation des femmes, notamment des femmes noires, à leur liberté (à disposer de leur corps, à circuler, à s’exprimer), à leur intimité, à leurs désirs et leurs envies. En ce sens, le corps de
l’artiste se transforme en un espace de projections multiples où les femmes sont mises en lumière.
I AM EVERY WOMAN
Une série récente fait écho à une chanson de Chaka Khan intitulée I’m Every Woman (1978). « Je suis toutes les femmes, elles sont toutes en moi » : l’enfant, la fille, l’amie, la vierge, la putain, l’amante, l’épouse, la mère, la célibataire, la veuve, l’employée, la dirigeante, la vieille, la jeune, la noire, la blanche. Les images du corps de l’artiste posent ainsi un champ au sein duquel toutes les oppressions et toutes les situations peuvent trouver un miroir. De quelle manière les femmes sontelles perçues et jugées ? Comment jongler entre tous ces rôles ? Quels choix opérer ? Et pourquoi ? Comment se défaire des injonctions dictées à la fois par l’espace privé, l’espace public et l’espace professionnel ? Billie Zangewa travaille ainsi le récit et les images de sa propre expérience. En exposant l’espace privé et intime, elle sonde la représentation, le rôle, la place et la condition des femmes non seulement dans la société sudafricaine, mais aussi de manière plus globale. Les situations présentées formulent des échos plus larges traitant des structures de pouvoir à différentes échelles, de l’espace politique vers l’espace privé. Par extension, les oeuvres abordent aussi la question de l’estime et du respect de soi. Billie Zangewa refuse la soumission, la dépendance et le compromis. Ses oeuvres traduisent l’image d’une femme triomphante, forte, urbaine, déterminée, attentive, sexy. Une femme occupée par sa famille et par son travail. Une femme libre de son corps et de ses choix. Une femme présente, vivante et visible.
BLACK IS BEAUTIFUL
À travers son image et son histoire, Billie Zangewa met en lumière la beauté du corps noir, des femmes noires, des femmes africaines. Avec la volonté de générer une imagerie positive de la beauté noire, l’artiste s’inscrit dans le mouvement culturel Black is beautiful apparu aux États-Unis dans les années 1960, notamment à la faveur des écrits du militant sud-africain Steve Biko, figure de la lutte anti-apartheid. Il s’agit alors d’annuler les stéréotypes persistants, de modifier les clichés fortement ancrés dans l’imaginaire collectif, tant en Occident qu’en Afrique. L’écrivaine et militante féministe Mona Eltahawy pose une question : « À qui appartient mon corps ? » À qui appartient le corps des femmes ? Qui en décide la destinée, la liberté et la contrainte ? Qui en dessine l’iconographie ? Billie Zangewa refuse de déléguer ses droits. Ses autoportraits affirment un empowerment puissant et radical de son image, de son corps et de sa liberté.
The embroidered, colorful tapestries of Billie Zangewa (born 1973, Blantyre, Malawi) eulogize personal experience, private lives, femaleness and blackness. In her explorations of images of her own body and face in their everyday context, this artist powerfully applies a critical and political outlook to her own story.
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The child of a South African mother and a Malawian father, Billie Zangewa grew up in Botswana andMalawi. A fascination with the fashion world took hold of her early on. She wasmad about TV catwalk shows, devoured Vogue and devoted herself to fashion illustration. Later, she moved to South Africa to study art at Rhodes University in Grahamstown, where she majored in graphics and printmaking. She worked and experimented with various media, with special attention to textiles. In the early 1990s she began to work as a stylist and made cloth handbags with sewn and embroidered designs depicting the fauna and flora of Botswana. Drawing was always her thing. Gradually she began to focus on it, with designing fashion accessories no more than a pretext. Starting around this turn of the century she set out to reinvent the art of tapestry. Each piece took a long time to make. The work was precise and demanding. She drew, cut out, sewed, embroidered and assembled pieces of colored raw silk. The erotic fluidity of this precious fabric reinforced the glamorous and physical dimension of her work. Each piece of silk is sculpted to become a new kind of tapestry. Though tapestry is a medium closely associated with history, her pieces are not so much about grand narratives as an indivi-
dual’s singular and modest story. Thus she trades the weightiness and authority of traditional tapestries for the lightness, fragility, sensuality and subtlety of her way with silk. THE PERSONAL IS POLITICAL People’s life stories can acquire historical resonance. Zangewa turns her personal experience into an exceptional subject, transforming her own image, her daily life and its most private aspects, including her love life and other inter-personal relations, into food for visual thought, rawmaterial for a reflection that is both poetic and critical. She stages real and fictional projections of herself in her milieu: her home, workspace and neighborhood. Self-portraiture is predominant in her practice. Through her own image Zangewa formulates the problematics associated with the representation of women, especially black women, their freedom (the sovereignty of their bodies, their right to move around and express themselves freely), their private lives, their wishes and desires. In this sense the artist’s body is transformed into a space of multiple projections where all women are illuminated. A recent series was inspired by the song first recorded in 1978 by Chaka Khan, “I’m Every Woman” (“It’s all in me”): child, girl, friend, virgin, slut, love, wife, mother, single woman, widow, employee, boss, old lady, young, black and white. Thus the images of this artist’s body constitute a field of mea- ning where all oppressions and situations can find their mirror. How are women seen and judged? How can they juggle these roles? What choices can they make? And why? How they can free themselves from the injunctions dictated by private spaces, public spaces and professional spaces? This is how Zangewa works with narratives and images of her own experience. By exposing her personal and private space, she is interrogating the representation, role, place and conditions of women, not only in South African society but worldwide. The situations she shows resonate broadly in terms of power structures on different levels, from the most political to the most personal spaces. By extension, her work also takes up the question of self-esteem and self-respect. Zangewa refuses submission, dependence and compromise. Her work conveys the figure of a triumphant woman, strong, sophisticated, determined, attentive and sexy. A woman occupied by her family and work. A woman whose body and choices are free. A woman who is present, alive and visible. BLACK IS BEAUTIFUL Zangewa uses her own image and story to highlight the beauty of the black body, black women and African women. Her aspiration to generate a positive image of black beauty connects her with the Black is Beautiful cultural movement that arose in the U.S. during the 1960s, notably via the writings of the South African anti-apartheid fighter Steve Biko. The point is to dispel the persistent stereotypes and challenge clichés deeply rooted in the collective imagination in Africa as well as the West. The writer and f seminist activist Mona Eltahawy asks, “To whom does my body belong?” To whom do women’s bodies belong? Who decides their destiny, their freedom and constraints? Who renders their iconography? Zangewa refuses to delegate her rights. Her self-portraits put forward a radical empowerment of her image, her body and her freedom.
Translation, L-S Torgoff Billie Zangewa Née en 1973 à Blantyre, Malawi Vit et travaille à Johannesburg, Afrique du Sud Expositions personnelles récentes: 2010 Black Line, Afronova Gallery, Johannesburg Expositions de groupe récentes : 2012 Africa/Africa, Abbaye Saint-André, Centre d’art contemporain, Meymac Hollandaise, Stedelijk Museum, Amsterdam 2013 My Joburg, La Maison Rouge- Fondation Antoine de Galbert, Paris ; The Progress of Love, The Menil Collection, Houston; Hollandaise : un voyage à travers un tissu emblématique, Raw Material Company, Dakar 2016 L’Iris de Lucy, Musée départemental d’art contemporain, Rochechouart