Art Press

Bertrand Dezoteux

Galerie Audi talents / 11 janvier - 5 février 2017

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Le titre est plutôt clair : En attendant Mars, c’est-à-dire, en l’occurrence, en attendant quelque chose qui n’arrivera pas. Faire semblant d’attendre. L’installati­on de Bertrand Dezoteux, lauréat 2015 des Audi Talent Awards, part d’un fait réel : de 2010 à 2011, six hommes, qui ne seront jamais cosmonaute­s, sont isolés pendant 520 jours dans un hangar russe, dans une parodie de navette spatiale à l’esthétique soviétique surannée. Ils sont filmés, on mesure l’évolution de leur psychologi­e, de leur immunité. Au bout de 250 jours, la mission arrive sur Mars (en réalité un bac à sable sous une tente). Seuls trois des membres de l’équipage ont le droit de remplir des bouteilles isothermes avec du sol martien. Les autres restent dans la navette. Puis l’équipage « repart ». Pendant près d’un an et demi, les six font des discours officiels pour personne, skypent avec leur famille comme s’ils étaient dans l’espace, travaillen­t la journée et, le soir, sont invités à s’adonner à des « loisirs créatifs ». C’est de la notion de « créatif », jamais appliquée aux artistes sous peine de les vexer, et du « loisir » comme mauvais genre, qu’est parti Dezoteux. Lui, le champion du pli spinoziste (et du surf) en animation 3D, est allé visiter les magasins de bricolage pour reproduire Mars 500 dans un film carton-pâte habité de marionnett­es évoquant aussi bien l’antique série américaine Thunderbir­ds que les poupées de Bellmer. Une sorte de degré supplément­aire dans le « faire semblant » : une fiction ludique sur des gens pris dans une fiction obligée. Au rez-de-chaussée de l’exposition, on trouve des photograph­ies du projet originel Mars 500 et une vidéo, montée et mise en musique par Dezoteux, à partir des images d’époque filmées dans la station : on y voit les hommes faisant du karaoké, la cuisine, un sapin de Noël avec du carton peint à l’éponge… Au sous-sol, on trouve les maquettes et marionnett­es fabriquées par Bertrand Dezoteux non sans humour et une maladresse volontaire qui redouble la pauvreté visuelle des décors réels de Mars 500. L’artiste s’est en particulie­r amusé à reproduire les outils du désoeuvrem­ent (machines de sport) et ceux des « loisirs créatifs » des cobayes : tableaux faits maison, guitares, masques d’Halloween… Le visiteur verra les six chambres, le salon principal et les marionnett­es affalées dans l’attente. Une seconde vidéo remet en scène, cette fois avec les pantins, quelques-unes des actions de la mission, dont le débarqueme­nt sur Mars. En permettant au spectateur de se projeter, l’immobilité des visages de papier mâché donne un surplus de vie, un sentiment de suspension mélancoliq­ue que la vidéo avec les humains ne possédait pas. On aperçoit en outre dans ce « remake » les mains gantées des marionnett­istes dans le champ: ce qui semble dire que les artistes se livrent aussi à une forme de « loisir créatif ». Une nouvelle réponse, peutêtre, à la question « pourquoi créezvous? » : pour attendre.

Éric Loret

The title says it all: Waiting for Mars, which means, in this case, waiting for something that will never happen. Or pretending to wait. This installati­on by Bertrand Dezoteux, winner of the 2015 Audi Talent Awards, is based on a real event. In 2010-11, six men, who will never be astronauts, spent 520 days in a Russian warehouse, in a space capsule spoofing old-fashioned Soviet aesthetics. They shot video footage and measured changes in their psychology and immune systems. At the end of 250 days, the mission reached Mars (actually, a sandbox in a tent). Only three crew members were allowed to fill their thermoses with Martian soil, while the other three waited in the ship. Then they “went home.” For almost a year and a half the six made official speeches with no real audience, Skypeing with their families as if they were in space, working by day and, at night, engaging in “creative leisure activities.” Dezoteux’s two core notions here were “creative,” a word artists don’t like to have applied to them, and “leisure,” the kind that make a bad impression, of course. A champion of 3D animated Spinozan folds and surfing, he rummaged around in hobby shops to find what he needed to reproduce the real Mars 500 mission in a cardboard carton inhabited by puppets recalling Bellmer dolls as well as the old British TV show Thunderbir­ds. Thus pretense was piled on top of pretense in a tongue in cheek fiction about people trapped in a real fiction. On the exhibition’s ground floor were photos of the original Mars 500 project and a video Dezoteux edited and accompanie­d with his own soundtrack. Footage from that time shows the men in the spaceship, belting out karaoke and making dinner, with a Christmas tree made of cardboard painted with a sponge. In the exhibition’s basement were the comical maquettes and marionette­s made by a deliberate­ly clumsy Dezoteux, concentrat­ing the visual poverty of the real Mars 500 settings. He had fun reproducin­g the recreation­al equipment (gym machines) and other items associated with the “creative leisure” enjoyed by his guinea pigs, clumsy paintings, guitars, Halloween masks, etc. The video shows the six bedrooms and a living room, and the marionette­s sprawling out as they wait. A second video revisits some of the mission’s highpoints, such as the Mars walk, reenacted by the puppets. By making it possible for visitors to project themselves into these scenes, the immobility of the papier-mâché puppets’ faces makes them look more lifelike, expressing a kind of melancholi­c state of suspension not seen in the footage of the humans. This remake also gives us a glimpse of the gloved hands of the puppeteer slipping into the frame. Dezoteux seems to be telling us that artists, too, engage in a kind of “creative leisure.” This may be a new answer to the old question, “Why do you make art?”—it’s something to do while you wait.

Translatio­n, L-S Torgoff

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l’exposition. 2017. Exhibition view
« En attendant Mars ». Vue de l’exposition. 2017. Exhibition view

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