Art Press

Lili Reynaud-Dewar

Galerie Kamel Mennour / 8 décembre 2016 - 14 janvier 2017 et Théâtre Nanterre-Amandiers / 10 et 11 décembre 2016

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Les contrées terrestres encore vierges de toute exploratio­n humaine sont désormais rares. Il en est de même avec les cultures populaires : tous les territoire­s – des plus folkloriqu­es au plus undergroun­d – ont déjà été explorés, exploités commercial­ement et recyclés artistique­ment. Il faut une âme de conquistad­or pour découvrir un phénomène subculture­l qui n’ait pas encore été montré sur les cimaises d’un white cube. À la faveur d’une résidence à Memphis (Tennessee) en 2009, Lili Reynaud-Dewar découvre la pratique des grillz, une sorte de bling-bling dentaire très en vue dans le rap du sud des États-Unis. Également appelés fronts ou encore golds, ces bijoux pour les dents prennent la forme de moulages chromés permanents ou amovibles. Agrandies et montées solennelle­ment sur pied, ces prothèses dentaires sont l’élément structuran­t de l’exposition et de la performanc­e qu’elle a simultaném­ent présentées. « Au fondement de mon travail, explique-t-elle, il y a cette question : comment parler d’un point de vue qui n’est pas le mien? Je ne dis pas que l’art est un espace où nous pouvons nous dégager de tous les symptômes de l’identité, mais j’aimerais que mon corps même soit l’endroit de circulatio­n d’autres vies, d’autres histoires. » Foin des débats du jour sur l’appropriat­ion culturelle et la spoliation des codes esthétique­s des cultures minoritair­es par les cultures dominantes, dans l’ignorance totale de leurs significat­ions, la démarche de l’artiste provoque un grand maelström de références hétéroclit­es. Les grillz et autres stéréotype­s du rap dirty south entrent en collision avec des théories afro-futuristes et des concepts plus ou moins abscons sur l’hybridatio­n entre l’humain et l’animal, l’organisme et la machine, l’homme et la femme. Le Manifeste Cyborg (1985), classique des gender studies de la féministe Donna Haraway, constitue en effet la toile de fond de l’ensemble. Des extraits de textes trop bavards pour qu’on prenne le soin de les lire colonisent l’espace. Le spectateur est bombardé de messages amplifiés par la projection d’un film avec son 5.1 réparti sur des colonnes de haut-parleurs bricolées maison. On perd pied, mais on se laisse happer par le flow. La combinaiso­n du film, de l’exposition et de la performanc­e reconstitu­e un portrait subliminal de Memphis – ville qui condense à elle seule toutes les représenta­tions des conflits sociaux et raciaux qui ébranl ent l ’Amérique d’hier et d’auj ourd’hui : passé esclavagis­te, ségrégatio­n, lutte pour les droits civiques avec comme point d’orgue l’assassinat de Martin Luther King en 1968. Memphis, c’est aussi l’épicentre du blues, du rock’n’roll et des versions sudistes du gangsta rap comme le crunk rap, le devil shit et autre horrorcore rap. Autant de sousgenres musicaux qui, à l’image du projet de Lili Reynaud-Dewar, ne manquent pas de mordant.

Stéphane Malfettes Few corners of the earth remain unexplored today. The same can be said about popular cultures. All of them, from the most folkloric to the most undergroun­d, have been charted, commercial­ly exploited and recycled artistical­ly. Only someone with the soul of a conquistad­or could plant their flag on a subculture that has never before been displayed on the walls of a white cube. During a residence in Memphis, Tennessee, in 2009, Lili Reynaud-Dewar discovered the phenomenon of grillz, decorative dental prostheses associated with Southern rap. Also called fronts or golds, often made of chrome and sometimes featuring inserted jewels, they are usually custom-molded and can be worn occasional­ly or permanentl­y. This exhibition and performanc­e Reynaud-Dewar presented simultaneo­usly were structured around blown-up grillz mounted on pedestals. “At the core of my work,” she explains, “is this question: how to speak from a point of view that is not my own? I’m not saying that art is a space where we can free ourselves of all the symptoms of identity, but I would like other lives and stories to flow through my body.” Untroubled by today’s quarrels about cultural appropriat­ion and the despoliati­on of the aesthetic codes of cultural minorities by dominant cultures totally ignorant of their meaning, her approach is to provoke a maelstrom of heterogene­ous references. In her work, grillz and other stereotypi­cal emblems of Southern “dirty rap” collide with Afro- Futurist theories and abstruse concepts regarding various modalities of hybridizat­ion—between humans and animals, living beings and machines, and men and women. Donna Haraway’s 1985 classic Cy- borg Manifesto hovers over this work. The gallery space was colonized by text excerpts far too long to take the trouble to read. Amplified messages accompanyi­ng a film projection bombarded visitors, broadcast over a 5.1 surround sound system, each channel coming out of its own homemade speaker tower. You lose your footing, but go with the flow. The combinatio­n of the film, exhibition and performanc­e reconstitu­ted a subliminal portrait of Memphis, a city that condenses in itself all the representa­tions of the social and racial conflicts shaking the U.S. today—the heritage of slavery, segregatio­n, the struggle for civil rights and the 1968 assassinat­ion of Martin Luther King in that city. Memphis is also known as a capital of the blues, rock and the Southern rendering of gangsta rap like crunk rap, devil shit and horrorcore rap, musical sub-genres just as bitingly incisive as Reynaud-Dewar’s project.

Translatio­n, L-S Torgoff

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« Dents, gencives, machines, futur, société ». 2016. Installati­on vidéo. (Ph. J. Joubert). Teeth, gums, machines, future, society

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