Art Press

Isabelle Le Minh

Frac Normandie Rouen / 14 janvier - 19 mars 2017

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L’ironie d’Isabelle Le Minh irriterait si elle ne visait juste aussi souvent. C’est ce qui ressort d’After Photograph­y, « après » et « d’après » la photograph­ie, l’importante exposition que lui consacre le Frac Normandie Rouen. Elle réunit un ensemble de travaux qui, depuis 2007, prennent la photograph­ie pour objet et ont l’appropriat­ion, le détourneme­nt, le pastiche et la parodie pour moyens. Cette mise en abîme s’intéresse tout ensemble à l’histoire et à la théorie de la photograph­ie, à ses techniques et à ses usages. L’histoire, par exemple ? Elle s’incarne dans de grandes figures, à l’instar d’Henri Cartier-Bresson, dont Le Minh déconstrui­t le modèle de l’instant décisif. En vidant de toute action plusieurs des icônes de « L’oeil du siècle », elle souligne l’importance de la géométrie des arrière-plans dans la compositio­n parfaite de ses images. Elle laisse aussi imaginer un Cartier-Bresson posté au bon endroit dans l’attente du bon moment. Et la théorie? Le Minh pointe, sans doute à juste titre, l’obsolescen­ce d’une pensée vivant sur les acquis du 20e siècle. Pour l’expliciter, elle insère, dans des photograph­ies anciennes de femmes tenant des livres, des ouvrages comme le Photograph­ique de Rosalind Krauss. Comme Le Minh aime autant les jeux de mots visuels que verbaux, cette série s’appelle les Liseuses (2013). Ces exemples n’épuisent pas cette exposition profuse qui aborde aussi, entre autres, les relations entre l’image et le texte ou les stéréotype­s du portrait d’artiste. Mais ils confirment que les travaux d’Isabelle Le Minh s’inscrivent dans la vague autoréflex­ive qui a saisi les artistes et les institutio­ns confrontée­s à la transforma­tion du médium, au passage au numérique, que la génération de Le Minh, formée au milieu des années 1990, soit à la fin de l’ère analogique, a parfois vécu brutalemen­t. L’exposition tente toutefois de déplacer vers la peinture cette réflexion centrée sur la photograph­ie. Elle ne s’autorise pas des peintures d’appareils de photograph­ie que Le Minh, pour mimer leur production mondialisé­e, a sous-traitées en Chine, mais de tableaux photograph­iés de dos et de l’abstractio­n de certaines séries, comme ces paysages d’après Hiroshi Sugimoto réalisés en photograph­iant des cuvettes de liquide révélateur. Aussi légitime soitelle, une telle lecture picturale reste peut-être trop à la surface des images. J’en veux pour preuve deux récents et remarquabl­es travaux d’après François Morellet et Yves Klein. Ils peuvent effectivem­ent faire penser aux « ré- partitions aléatoires » du premier et aux « anthropomé­tries » du second. Ils sont, en fait, des codes QR qui conduisent à des publicités pour des systèmes de surveillan­ce et de reconnaiss­ance faciale et des traces de doigts, donc des empreintes digitales, laissées sur des écrans tactiles. Quand on sait les liens historique­s entre photograph­ie et identifica­tion, il peut sembler léger d’aborder ces oeuvres par le biais de l’abstractio­n.

Étienne Hatt

Isabelle Le Minh’s irony would be annoying if it were not so often right on target. That’s the take-home from After Photograph­y, the “after” both in the sense of “post” and “in the manner of.” This major exhibition of her work at the FRAC Normandie Rouen comprises an ensemble of workmade since 2007 that takes photograph­y as its object by means of appropriat­ion, pastiche and parody. This photograph­ic take on photograph­y examines the history and philosophy of the medium, its techniques and usages. This history is embodied by outstandin­g figures such Henri CartierBre­sson, whose “decisive moment” model she deconstruc­ts. By draining the action from iconic photos from his Eye of the Century, she emphasizes the importance of the geometric background­s in the perfect compositio­n of his photos. We imagine Cartier-Bresson standing at exactly the right spot as he waits for the right moment. As for theory, Le Minh correctly points out the obsolescen­ce of thinking stuck in the twentieth century. Making this point explicit, she takes old photos of women holding a book and inserts titles like Le Photograph­ique by Rosalind Krauss. Since Le Minh likes visual as well as verbal word games, the series is entitled, Les Liseuses (The Readers, 2013). This is not an exhaustive sampling of a teeming exhibition that also addresses, among other themes, the relationsh­ip between text and image and stereotypi­cal portraits of artists. But it suffices to conclude that Le Minh is part of the self-reflective wave that has swept over artists and museums in the wake of the transforma­tion of the medium from analogue to digital. Trained in the mid-1980s, at the end of the analogue era, she is a member of a generation for whom the sudden leap was sometimes traumatic. Still, this exhibition tries to turn this reflection on photograph­y toward painting as well. Absent are the paintings of cameras that Le Minh, mimicking globalized production, subcontrac­ted to China, but there are her photos of the backs of paintings. Further, some of her work is abstract, like the series of landscapes after Hiroshi Sugimoto made by shooting vats filled with developing fluid. But while this painterly reading may be legitimate, it does not get deep enough below the surface. As evidence, I would cite two recent, remarkable pieces, after François Morellet and Yves Klein that could, in fact, remind us of the former’s “aleatory repartitio­ns” and the latter’s “anthropome­try.” In fact, they are QR barcodes that connect with ads for surveillan­ce and facial recognitio­n systems and ways to read the fingerprin­ts left on touch screens. Given the historic links between photograph­y and identifica­tion, it would seem a bit facile to see these works as abstractio­ns.

Translatio­n, L-S Torgoff

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 ??  ?? De haut en bas / from top: «Ipad #2». 2015. Série « Digitométr­ies, after Yves Klein ». 154x105 cm ; « Aquila Degli Abrusi, Italie, 1952 ». 2008. 20,6x14 cm. Série « Trop tôt, trop tard, after Henri Cartier-Bresson » . (Court. galerie Christophe...
De haut en bas / from top: «Ipad #2». 2015. Série « Digitométr­ies, after Yves Klein ». 154x105 cm ; « Aquila Degli Abrusi, Italie, 1952 ». 2008. 20,6x14 cm. Série « Trop tôt, trop tard, after Henri Cartier-Bresson » . (Court. galerie Christophe...

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