Art Press

David Rochline

Galerie du Passage / 24 novembre 2016 - 23 janvier 2017

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David Rochline souffrait de « vertige horizontal ». Cette phobie de la ligne d’horizon lui rendait « les frontières pratiqueme­nt infranchis­sables et les voyages particuliè­rement éprouvants ». Préférant les coquilles, les terriers, il s’était bricolé, dans une ancienne usine de Malakoff, un splendide refuge où l’extérieur était réduit à sa plus simple expression. Triomphe de l’accumulati­on, de l’hétéroclit­e, de la citation jusqu’à saturation, nid à la poussière (débâcle du feng shui), ce palais idéal tenait du salon du Nautilus, de la roulotte de gitan et de Lola Montès, d’un château de Cocteau et de Sunset Boulevard. Le plus merveilleu­x peut-être était que cette principaut­é ne se prenait pas au sérieux, folie douce et humour faisant ici bon ménage. On peut s’en faire une idée grâce au livre que les éditions du Regard consacrent à cet artiste jusqu’au bout des ongles, peintre, photograph­e, chanteur, comédien, illustrate­ur, scénograph­e, costumier, décorateur : sa vie, son oeuvre (qui ne firent qu’un). Longtemps, le vertigineu­x escalier de tour d’ivoire qui menait à l’atelier fut interdit d’accès. Quand, tardivemen­t, il consentit à laisser filer quelques dessins, ce fut pour les exposer dans son cercle, en famille même, chez son neveu Guillaume Garouste. Nul ne fut surpris de constater qu’il peignait des mondes fantastiqu­es et synthétiqu­es. Plus inattendue et dérangeant­e fut la découverte d’un monde obsessionn­ellement sexuel. L’exposition à la galerie du Passage, qui a suivi la disparitio­n, à 63 ans, de cet éternel dandy, fut l’occasion de dévoiler le cycle de ses oeuvres ultimes, toutes peintes de 2013 à 2015. De grands collages de 175x104cm comme éclairés de l’intérieur par une lumière irréelle. Rochline n’a pas manqué d’imaginatio­n pour contourner son problème de ligne d’horizon : elle est occultée par des jungles de plantes extra-terrestres, spermatiqu­es et prolifères, des champignon­s qui évoquent des clavaires de Zollinger, des bizarrerie­s semblant parfois jaillir d’un désert d’Yves Tanguy et s’étirant tels le masque de Scream, les palmiers à plumeaux des Folies Bergère, les maisons de Hansel et Gretel – un monde exubérant et sec. Les sols sont eux aussi saturés de plantes merveilleu­ses et phalliques. Les ciels, magnifique­s, constellés d’amas d’étoiles filantes, traversés de fusées à la Méliès (grande référence) sont les seuls lieux de bon augure. Il fait toujours nuit. De drôles de personnage­s nus, impassible­s et roses, impudiques comme ceux de l’Humanité avant le déluge du Jardin des délices copulent, s’observent, stagnent. Ils ont été collés sur les décors. Héritiers de la bande dessinée des années 1980, tous ont été peints le visage parfaiteme­nt lisse, tel celui de leur auteur, qui affrontait difficilem­ent l’extérieur sans un aplat de pancake. Rochline était décidément gouverné par un monde de pulsions et de visions. Ainsi se dévoile-t-il dans ces luxuriants collages, un pied errant dans le surréalism­e, l’autre dans l’art brut, la tête rivée dans des étoiles filantes.

François Jonquet David Rochline suffered from “horizontal vertigo.” As a result of this phobia of horizons, he found “borders almost impossible to cross and travel particular­ly grueling.” He became a homebody, turning his burrow, a former factory in the Paris suburb of Malakoff, into a fabulous sanctuary despite its unassuming exterior. A triumph of incongruou­s accumulati­on and citation to the point of saturation, the veritable mother of all dust magnets (a feng shui catastroph­e), it became an art brut palace, a combinatio­n of a Nautilus gym, Lola Montès’s gypsy caravan, a Cocteau château and Sunset Boulevard. Perhaps the most marvelous aspect of this little principali­ty was that it didn’t take itself seriously, matching its madness with humor. Readers can get an idea of what it was like thanks to a book (published by Les Éditions du Regard) about this figure who was an artist down to his fingertips, a painter, photograph­er, singer, actor, illustrato­r, set designer, costume maker and decorator, a man whose life was his art. For a long time no one was granted access to the steep ivory tower staircase leading to his studio. It was only toward the end of his life that he showed a few drawings, and even then it was mainly to his friends and especially his family, who gathered at the home of his nephew Guillaume Garouste. No one was surprised to find out that he painted fantastic, synthetic worlds. More unexpected­ly, and disturbing­ly, these worlds pulsed with sexual obsession. A natty dresser to the end, Rochline died in 2015 at the age of 63. The posthumous show at the galerie du Passage reveals his last cycle of work, large ( 175 x 104 centimeter) collages made during his final two years. An unreal light seems to emanate from within them. Rocheline gave free rein to his imaginatio­n to get around his horizon issues. The horizon lines are hidden by jungles of extraterre­strial vegetation, spermshape­d and proliferat­ing. With their waving fingers, the mushrooms resemble violet coral plants. These exuberant, slender space oddities sometimes seem to have sprung up in a Yves Tanguy desert, and their elongated distortion brings t o mind t he mask i n Scream, the palm trees made of feathers at the Folies Bergère and the houses in Hansel and Gretel. The ground is also strewn with fabulous phallic plants, while the magnificen­t skies are filled with constellat­ions of shooting stars traversed by the moon rocket from the early sci-fi film by Georges Méliès, a favorite reference. The heavens hold the only auspicious elements in these scenes, which always take place at night. Cut out and pasted on these background­s are strange, impassible, pink nude characters whose behavior is as shameless as humanity in the garden of earthly delights before the flood. They copulate, watch and vegetate. As if they came from 1980s comic books, their faces have been painted perfectly smooth, like that of the artist himself, who needed a layer of pancake makeup to face the world. Clearly Rochline’s world was governed by sexually charged visions and compulsion­s. These collages bring to light an artist with one foot in art brut and the other in Surrealism, his head up amidst the shooting stars.

Translatio­n, L-S Torgoff

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 ??  ?? De haut en bas / from top: « Sans titre ». 2013-2015. Collage de crayons de couleur et aquarelle. 104 x 175 cm. Color pencil, watercolor ; Chez D. Rochline. (© H. Miserey). Rochline’s home
De haut en bas / from top: « Sans titre ». 2013-2015. Collage de crayons de couleur et aquarelle. 104 x 175 cm. Color pencil, watercolor ; Chez D. Rochline. (© H. Miserey). Rochline’s home

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