Eliza Douglas
Galerie Air de Paris / 10 novembre 2016 - 14 janvier 2017
Les peintures d’Eliza Douglas mettent en scène des « organes sans corps » : des mains et des pieds reliés entre eux par une traînée de peinture. La blancheur et l’apparence hyperréaliste des membres, rappelant les sculptures antiques ou les corps embaumés, les rendent intemporels. Les traînées de peinture, évoquant des bras ou des jambes élastiques, font penser à un alphabet de gestes. Ces peintures représentent autant de corps qui dansent, appellent, réconfortent, désignent, s’allongent ou se replient. Le bandeau d’où sortent les membres fragmentés et rigides est le lieu de l’action, du flux et de la vie. La phrase de Paul B. Preciado « Je suis un corps multiple » peut s’appliquer à la multiplicité présente dans ces oeuvres, multiplicité sur laquelle insiste l’écrivaine Eileen Myles dans le texte qui accompagne l’exposition. « L’artiste me dit qu’elles sont nées en 1984 […] c’est leur première exposition solo », écrit-elle, désignant l’artiste comme plurielle. Les oeuvres sont le théâtre où sont mis en scène des « Je » multiples. Le corps y est le même et un autre, selon les états émotionnels qui l’animent. Eliza Douglas est donc née en 1984 à New York, et termine actuellement ses études à la Städelschule de Francfort. Les mains et les pieds que l’on voit représentés sont les siens. Les vêtements sont ceux qu’elle portait au moment de commencer les peintures. La série se présente à la fois comme un autoportrait et une mise en abîme, chaque peinture revêtant simultanément plusieurs per- sonnalités. Une tension psychologique est présente dans ces tableaux ; elle articule la banalité du quotidien aux ruptures tragiques qui la rythment : Ice and Sugar, The Burning Inside of Me, Hello Love, No Pain at All. Les titres évoquent des sentiments de perte, d’illusion, d’élan amoureux. Tous, y compris celui de l’exposition I Am All Soul, sont tirés de poèmes de Dorothea Lasky. Ils ont l’autonomie d’une ligne musicale et dialoguent avec les oeuvres autant qu’ils nous en offrent une lecture possible : une narration ou une mélodie. Dans l’ensemble, les oeuvres montrent une certaine candeur. Elles sont délicates et chargées d’émotions. Mais on perçoit aussi une forme d’autodérision. L’humour les sauve du sentimentalisme. Ainsi la première peinture de l’exposition, I Am the Horse You Should Bet On (I), tranche-t-elle avec toutes les autres. Elle représente un monstre vert, qui tient une peinture et nous la tend. Est-ce aussi un portrait de l’artiste ? Ce personnage nous place dans le registre du comics, du freak-show ou du cirque. Les acrobates de Picasso nous reviennent en mémoire. Acrobates, super-héros, monstres grotesques, personnages romanesques sont les protagonistes de l’exposition, réunis parfois dans un seul tableau. Un mélange de sculpture antique, de narration sentimentale et de spectacle clownesque. L’alchimie fonctionne : l’oeuvre est étrange, hybride, et nous séduit pour cette raison.
Théodora Domenech
Eliza Douglas’s paintings show “organs without a body,” hands and feet connected by a streak of paint. The whiteness and photorealism of these organs recall Greek and Roman sculpture or embalmed corpses, and make them timeless. The paint streaks, looking like elongated arms or legs, seem to sketch out a body language alphabet. These paintings represent bodies dancing, stretching and scrunching up. The field from which the rigid, fragmented members emerge is a site of action, flux and life. Paul B. Preciado’s phrase “I am a multiple body” could be applied to the multiplicity presented in these pieces, a multiplicity emphasized by the poet Eileen Myles in a text accompanying this exhibition: “The artist tells me they were born in 1984… it is their first solo show,” referring to Douglas in the androgynous plural. These paintings are a theater where multiple selves perform. The body is same and other, depending on its emotional states. Douglas was born in 1984 in New York, and is currently completing her studies at the Städelschule in Frankfurt. The hands and legs in these paintings are her own. The clothing is what she was wearing when she began making the painting. This cycle is both a self-portrait and a mirror show, with each painting adorned with several different personalities simultaneously. They are fraught with psychological tension that articu- lates the banality of daily life and its tragic ruptures. Titles such as Ice and Sugar, The Burning Inside of Me, Hello Love, No Pain at All speak of loss, illusions and falling in love. All the titles, including the exhibition’s, I Am All Soul, are taken from poems by Dorothea Lasky. They have the autonomy of a song line and dialogue with the paintings, thus offering us a possible reading of the show as a narrative or melody. In their ensemble, these paintings are tinged with a certain ingenuousness. They are delicate and emotionally charged. But a kind of self-derision peeps through. Their jokiness saves them from sentimentality. The first painting in this show, I Am the Horse You Should Bet On, is nothing like the rest. It shows a green monster holding out a painting in his hand. Is this also a portrait of the artist? This character belongs to the world of comic strips, circuses and freak shows. Picasso’s acrobats come to mind. This show’s cast is made up of acrobats, superheroes, grotesque monsters and other picturesque characters, sometimes brought together in the same canvas. The result is a mix of ancient sculpture, sentimental narration and clownish spectacle. The alchemy works: these paintings are strange and hybrid, and that’s what attracts us to them. Translation, L-S Torgoff