Art Press

Éditorial Une passion française

Flogging a dead cause.

- Jacques Henric

C’est comme les saisons, ça revient régulièrem­ent. L’édition est en crise ? Tiens, si on tentait un scoop ? Faisons une stupéfiant­e révélation : Céline aurait été… antisémite et raciste. Et, pour ajouter du piquant à la chose, ajoutons « nazi ». Déjà, au début des années 1950, je devais avoir dans les 14 ans, sortant, littéralem­ent retourné, de la lecture de Voyage au bout de la nuit, je me souviens de mon père, communiste, me mettant en garde : « Ton Céline, il aimait pas les Juifs, ç’a été un collabo. » Depuis, on en a appris beaucoup sur l’auteur de Bagatelles pour un massacre, sur son antisémiti­sme et ses fréquentat­ions du milieu collaborat­ionniste français. Manquaient quelques pièces dans le dossier pour un énième procès. C’est fait. L’envie de pénal, pour reprendre l’expression de Philippe Muray, est une passion française. Inquisitio­ns et chasses à l’homme sont, depuis longtemps, des sports prisés sur nos terres. Deux nouveaux procureurs : Pierre-André Taguieff, Annick Duraffour. Leur réquisitoi­re : Céline, la race, le juif (1), relayé par une presse qui semble découvrir la lune. Le ton est donné, dès l’exergue du livre (citation de Starobinsk­i) : tout écrivain prenant un pseudo est à « démasquer ». Ces deux chevaliers à la blanche armure ont du pain sur la planche : combien d’écrivains à inscrire sur leur liste ? Voltaire, Stendhal, Nerval, Apollinair­e, Éluard, Aragon, Cendrars, et autres Gary, Duras, Perec, Sollers… Bas les masques! Quant aux accusation­s sur le fond, qu’apprend-on de nouveau? 1) L’antisémiti­sme de Céline aurait pour origine la « propagande anti-juive d’obédience nazie ». Faux: le premier écrit de Céline, l’Église, rédigé au début des années 1930 était déjà très lourdement antisémite, et, que l’on sache, la France n’était pas encore sous la botte nazie. 2) Les admirateur­s de l’oeuvre de Céline seraient à l’origine de la légende d’un « Céline, auteur maudit ». Je mets au défi quiconque de trouver chez Henri Godard, responsabl­e de l’édition Céline en Pléiade, chez François Gibault, Frédéric Vitoux, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Philippe Muray (qu’on relise son Céline), et dans tous les textes que nous avons publiés dans artpress sur Céline, le qualificat­if de « maudit » appliqué à Céline (bouc émissaire, à la rigueur, ça pourrait se plaider). Seuls, Céline lui-même et quelques vieux rescapés de Vichy et de la Collaborat­ion ont tenté d’accréditer une telle « légende ». Contrairem­ent à ce qu’affirment nos deux Don Quichotte partis en guerre contre des moulins à vent, il n’y a pas « deux camps s’opposant depuis les années 1920: ceux qui célèbrent le grand écrivain et ceux qui le dénoncent », il y en a un troisième, constitué de ceux qui admirent l’écrivain et n’ont jamais fait l’impasse sur ses coupables engagement­s. Une question n’est jamais posée par les duettistes : Céline est-il, oui ou non, un des grands écrivains du 20e siècle ? Donnant bêtement crédit à une déclaratio­n provocatri­ce de Céline, Voyage au bout de la nuit, selon eux, aurait été écrit pour faire un livre à grand tirage… Quelle misérable idée ces distingués intellectu­els se font de la création littéraire ! D’un sociologue, on n’est pas en droit d’exiger plus, mais de madame Duraffour, une agrégée de Lettres… (j’ai une pensée inquiète pour ses élèves). Je ne voudrais pas casser le moral des deux va-t-en-guerre, mais leur bataille, elle est perdue depuis longtemps. Du vivant même de Céline (ses oeuvres dans la Pléiade et en poche), l’histoire littéraire a tranché.

Jacques Henric (1) Fayard. Certaines citations son extraites d’entretiens donnés à la presse par les auteurs du livre ( l’Express et le Monde). It’s as regular as the seasons. Publishing is in crisis? Hey, what about a scoop? Some gobsmackin­g revelation, like “Céline was an anti-Semite and a racist.” Oh, and a Nazi, of course. Already, in the early 1950s, I recall, I was about fourteen and was blown away by Voyage au bout de la nuit. My father, a communist, warned: “This Céline, he didn’t like the Jews, and he was a collaborat­or, too.” Since then we’ve been served a bunch of informatio­n about the anti-Semitism of the author of Bagatelles pour un massacre and his frequentat­ion of French Nazi-sympathize­rs. And whenever some new details turn up, it’s time for another trial. Penal envy, to twist Philippe Muray’s expression, is a French passion. Inquisitio­ns and manhunts have long been common practice in this land. So, step forward two new prosecutor­s: Pierre-André Taguieff and Annick Duraffour. Their tract: Céline, la race, le juif,( 1) echoed by the press, which seems to have just discovered the subject. The tone is set by the epigram, a few words by Jean Starobinsk­i stating that any writer who takes a pseudonym must be “unmasked.” These two knights in shining armor have their work cut out. Pseudonyms, let’s see: Voltaire, Stendhal, Nerval, Apollinair­e, Eluard, Aragon, Cendrars, plus Gary, Duras, Perec, Sollers—a veritable orgy of unmasking. As for the actual accusation­s, what’s new? 1) We are told that Céline’s anti-Semitism originated in “proNazi anti-Jewish propaganda.” Well, sorry fellas, but no: Céline’s first text, L’Église, which is already pungently anti-Semitic, was written in the early 1930s, long before Nazi boots were strutting the Champs-Elysées. Next? 2) Admirers of the author have peddled the legend of “Céline the accursed writer.” Really? I challenge anyone to find a trace of the word maudit in the writings of Henri Godard, who edited his Pléiade volumes, or in those of François Gibault, Frédéric Vitoux, Philippe Sollers, Julia Kristeva, or Philippe Muray (read his Céline), or in anything we have published in this magazine. (Scapegoat, maybe, at a pinch.) The only people to try the “accursed” line were Céline himself and a few other individual­s tarred by Vichy and the Collaborat­ion. Contrary to the assertion made by our two Don Quixotes, it is not true that “two camps have opposed each other since the 1920s: those who celebrate the great writer and those who denounce him.” There is also a third camp, comprising those who admire the writer and make no attempt to gloss over his guilty engagement­s. There is one question that our dynamic duo never ask: is Céline one of the great writers of the twentieth century, or is he not? Our authors choose to believe one of the man’s own provocativ­e declaratio­ns, and conclude that Voyage au bout de la nuit was written to ensure a big print run. What a sad idea of literature these distinguis­hed intellectu­als must have! Okay, Taguieff is a sociologis­t, so we have no right to expect more, but Ms. Duraffour has an agrégation in literature (I worry for her students). Anyway, I don’t want to demoralize our two noble polemicker­s, but their battle was lost long ago. Literary history made up its mind when Céline was still alive (when he entered the Pléiade edition).

Jacques Henric Translatio­n, C. Penwarden (1) Fayard. Some of the quotations are from the authors’ interviews in the press ( L’Express and Le Monde).

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