Nina Léger
Gallimard, 160 p., 15 euros Si l’on considère que la sexualité, avec ses objets et ses organes, ne peut s’entendre, en littérature (et ailleurs), qu’associée à des sentiments, ou au moins à des affects, on peut laisser le livre de Nina Léger sur son second rayon. En revanche, si l’on décrète que cette même sexualité peut s’abstraire de ces sentiments et réduire les émotions à des expressions corporelles visibles, mesurables, on le lira avec profit. D’ailleurs, le titre exprime cette option : au lieu du corps tout entier alourdi par ses émois pulsionnels, un découpage, une géométrie, une architecture mentale – une Mise en pièces. Pour Jeanne, l’héroïne, tout ne se passe pas dans la tête. Collectionneuse obsessionnelle, elle ne se laisse pas distraire. Aimer sensuellement les hommes, c’est se cantonner dans une généralité inconsistante. La nymphomanie n’est qu’une faiblesse coupable, une aliénation. « Qu’importe le visage, la taille, la carrure ou le ventre : elle ne leur accorde pas le moindre regard, car rien, dans la physionomie d’un homme, n’annonce jamais son sexe. » Or, Jeanne a cette capacité, ce désir, de séparer l’organe, si possible dans son état le mieux congestionné, de la personne, et même du corps, de l’homme. Pour satisfaire ce désir, elle se promène dans Paris et construit peu à peu un « palais de mémoire » afin d’y accueillir l’infinie variété des « sexes nouveaux ». Parfois, « prise d’effrois rétrospectifs », « elle déserte le palais et se rabat sur son armoire et sur les sex-toys qui lui évitent les risques du face-à-face ». Nina Léger a la plume alerte et précise, froide, clinique, taxinomique. Elle aime les énumérations, elle découpe, décrit, raconte peu. Elle a ainsi le mérite de réduire le libertinage (ou l’érotisme) à sa plus simple, et peut-être décevante, expression.