Jean-Claude Lebensztejn
Figures pissantes 1280-2014 Macula, 168 p., 26 euros
On ne les savait pas si nombreux, ces pisseurs et pisseuses dans l’histoire de l’art. Loin d’être confinés dans les parties privatives de l’activité du dessinateur ou les caricatures, les voici ouvertement représentés chez Titien, Giuliano Bugiardini ou Lorenzo Lotto. La collecte de figures pissantes menée par Jean-Claude Lebensztejn conduit de Cimabue à Charles Demuth, de Bruxelles au château du PlessisBourré. Aussi bien sur les pas de porte de la peinture de genre hollandaise que dans la chapelle Ovetari de Mantegna. Puer mingens ou géant pisseur, ces figures oscillent entre innocence et indécence, bas matériel rabelaisien et symbolisme hermétique. Il semble d’ailleurs qu’il faille attendre assez longtemps – jusqu’à la fin du 19 siècle – pour qu’à mesure que la miction se privatise, l’exhibition se charge d’agressivité ou se trouve « prise au piège du voyeurisme ». La profusion de ces urineurs ne saurait être ramenée à une explication simple et le texte expose souplement différentes pistes, religieuses, alchimiques ou psychanalytiques. Certes, il faut surmonter le dégoût, produit d’un « long refoulement historique, dont la levée – le désir et le regoût de pisse – est désormais inscrite dans l’ordre de la perversion », comme l’écrit Lebensztejn, pour comprendre les affinités symboliques entre urine et eau bénite, qui s’apparentent aux différents rituels scatologiques que l’humanité a eu largement en partage. Le livre se clôt sur les Oxidations de Warhol, où l’urine devient médium. Sous les spots des galeries, les tableaux se mettaient à goutter et l’odeur se faisait forte. « On peut comprendre pourquoi ces peintures sacrées pleurent tout le temps… », disait Warhol. Encore une fois pisse et sacré ont partie liée.