Philippe Dagen
Artistes et ateliers Gallimard, 400 p., 28 euros
Dans cet ouvrage qui rassemble les portraits et entretiens que Philippe Dagen a écrits pour le Monde depuis une trentaine d’années, les propos sont toujours ressaisis dans l'ambiance, le décor, qui font la spécificité d’une heure. Pour Dagen, le portrait d’un artiste est inséparable d’une manière d’arpenter l’espace, d’ouvrir des perspectives parmi les objets et les lieux, de distribuer les silences et les exclamations. Une conversation comme une déambulation au milieu des livres, des références, des convictions politiques, des anecdotes et des souvenirs, pour en saisir avec vivacité l’univers et la « déviation » fondamentale que les artistes inscrivent dans leurs oeuvres et qui se manifestent dans leur personne. Mais le portrait n’est pas toujours une saisie sur le vif d’un trait de caractère singulier – le côté fugitif d’un Jean-Michel Alberola, le laconisme d’un Djamel Tatah. Parfois, en une saynète aux détails colorés, il bifurque : Ai Weiwei, qui de professionnel de l’art se transforme en fiévreux révolutionnaire, ou Jeff Koons qui, du parfait chef d’entreprise, devient un obsessionnel des corps et des sexes. Dagen construit et déconstruit ainsi les personnages, tissant l’endroit et l’envers des personnalités. L’art du portrait s’appuie sur l’anodin et les retournements de situation ; la compréhension progresse par tâtonnements, s’appuyant sur un rythme particulier, comme si en entrant dans un atelier, on pénétrait dans un espace-temps spécifique. « Il faut écrire au rythme de la parole […] je sais combien il est important de noter l’allure générale, les silences, les répétitions, les ruptures. » En se tournant vers le décorum et le quotidien des peintres, Dagen y retrouve ce qui est le plus essentiel : la modalité d’existence qui porte une oeuvre.