Une autre fin du monde est possible
Galerie Alain Gutharc / 28 janvier - 25 février 2017
Le thème eschatologique, de tout temps, s’est porté à merveille. Il faut que le monde, à un moment, disparaisse, il faut que l’on en finisse, que la Terre cesse d’exister, et nous avec, humains méprisables. Ces dernières années, cette thématique de la fin du monde a connu quelques réactualisations mémorables, entre les prédictions dernières du calendrier Maya et la scène finale de Melancholia, longmétrage de Lars Von Trier où l’on assiste en direct à notre destruction, frappés de plein fouet par une planète à la dérive… La fin du monde ? Gageons que cette exposition de groupe, éprise d’un certain réalisme, en donne une modulation fort différente et plus crédible, au plus loin cette fois du catastrophisme. Dès l’entrée de la galerie, c’est une main sale, encrée, comme mazoutée, qui nous accueille, photographiée par Estefanía Peñafiel Loaiza, sous l’intitulé la Véritable Dimension des choses. Que comprendre ? Aucun doute, la pollution nous détruira. Laurent Goumarre nous présente Tanger aujourd’hui : rien de réjouissant dans cette photographie – on songe à la ville de Passaic, dans le New Jersey, vue par Robert Smithson dans A Tour of the Monuments of Passaic, où il n’est question que de mémoire et d’oubli – un espace délabré, un terrain vague criblé d’ordures, livré à toutes les entropies où l’on peine à retrouver la ville fétiche des Last Poets. Quant au Cube de Mathias Kiss évoque des mutations génétiques inquiétantes, affectant jusqu’aux objets : un cube recouvert de miroirs, vieille relique du minimalisme et de Robert Morris, s’est étrangement accouplé avec un cadre de tableau de style classique. Et que dire des peintures abstraites, brossées à l’acrylique, de Bernard Quesniaux, pas loin de l’évanescence, comme si quelque puissance sournoise les avait travaillées à la lessive… Une autre fin du monde est possible, n’en doutons pas. Faute d’avoir pour elle le spectaculaire, les grandes orgues et les légions d’anges exterminateurs, elle prendra cette forme banale de la dégradation qui vient peu à peu, et que n’aura jamais vue l’Ange de l’Histoire de Walter Benjamin, annonciateur du pire, mais trop empêtré dans ses métaphores apocalyptiques pour déceler cette vérité : le pire est là, déjà, la fin du monde se construit au quotidien, pas à pas, il suffit de regarder autour de soi pour s’en convaincre.
Paul Ardenne Eschatology has always been the next big thing. After all, the end of the world is inevitable. One day the Earth will be over and gone, and so will we, rotters that we are. Like certain celebrities on latenight talk shows, the end of the world has made some memorable appearances of late, notably in the last predictions of the Mayan calendar and the final scene in the Lars Von Trier film Melancholia, featuring planetary catastrophe and subsequent human extinction. But clearly this reality-based group show has a very different, more credible take on the theme. As visitors enter the gallery, the first thing they see is a dirty, oilslicked hand in a photo by Estefanía Peñafiel Loaiza called La Véritable Dimension des choses. What’s the take-home here? Obviously that pollution will be the death of us all. Laurent Goumarre shows us Tangier today. There’s nothing happy in this brokendown town (we’re reminded of Robert Smithson’s views of Passaic, New Jersey), just a trashstrewn empty lot delivered up to entropy, where we search in vain for signs of the city celebrated by The Last Poets. Mathias Kiss’s Cube suggests disturbing genetic mutations: a cube covered with mirrors, recalling Minimalism and Robert Morris, is strangely mounted on a kitschy picture frame. And what to say about the abstract acrylic paintings of Bernard Quesniaux, almost evanescent, as if washed out by a powerful, stealthy detergent… Another end of the world is possible, no doubt. For want of something more spectacular, with soaring organ music and legions of exterminating angels, it will have to end with a whimper, a slow deterioration, without the presence of Walter Benjamin’s Angel of History, that herald of the worst too deeply sunk into apocalyptic metaphors to recognize the truth, that the worst is already upon us. The end of the world is happening little by little, day by day. If you don’t believe me, just take a look around.
Translation, L-S Torgoff