Bertille Bak
Le Moulin / 11 février - 22 avril 2017
Depuis une dizaine d’années, Bertille Bak donne à voir vidéos, installations et sculptures qui dessinent comme une cartographie oblique. Oblique, parce que l’artiste y regarde par le côté : c’est-à-dire vers la périphérie. Périphérie des mondes, des villes, des pratiques, des usages et des coutumes, des communautés en marge, non pas de la réalité mais de ce qui est donné à voir. Ainsi, les expositions de Bertille Bak prennent pour point de départ des groupes sociaux, urbains ou de travailleurs, qui se situent le plus souvent involontairement en-dehors de toute visibilité. Immergée dans ceux-ci, Bertille Bak filme et fait réaliser des pièces originales à partir d’un savoir-faire traditionnel ou local qui, détournées, deviennent les témoignages mêmes de cette invisibilité. Témoin mais aussi « récolteuse » de ces objets, son travail pourrait, par plusieurs aspects, rappeler quelques démarches ethnographiques. Mais, détournées elles aussi, elles sont poussées à l’absurde, à la frontière de la pataphysique. C’est là toute la force de cette oeuvre singulière. On citera notamment son exposition Circuits au musée d’art moderne de la Ville de Paris (2012) ou la Tour de Babel à Saint-Nazaire (2014). Pour cette dernière, l’artiste s’est faite embauchée sur le chantier de construction d’un paquebot de croisière. En résultent vidéos et installations à l’instar des Complaisants, trentecinq pavillons de complaisance réalisés avec les cheveux du personnel de bord ou la Marée mise à nu par ses célibataires mêmes: une oeuvre se jouant du fantasme du marin ayant une femme dans chaque port. Intitulée Complexes de loisirs, l’exposition présentée au centre d’art Le Moulin permet de revoir certaines oeuvres précédentes ( les Complaisants, notamment) et surtout de découvrir une pièce nouvelle : Usine à divertissement, co-produite par Le Moulin. Ce triptyque vidéo, réalisé en 2016, montre trois communautés (un village de Thaïlande, un autre du Maroc et celui des Saintes-Maries-de-la-Mer) « visitées » par un tourisme de masse avide de spectaculaire et d'authentique, qui ne peut que disparaître à mesure de l’affluence de ces vacanciers. Dès lors, en entremêlant les notions de parc d’attraction et d’exposition coloniale, Bertille Bak offre un grossissement du réel dans une démarche jusqu'au-boutiste : en parodiant à l’extrême les coutumes locales de ces trois communautés, elle les transforme en aventure-land où, selon les critères vendus par les agences de voyage, l’on découvrira un maximum d’exotisme et de dépaysement – promettant ainsi, sans le formuler, une rencontre avec quelques sauvages. Le vacancier est alors pris à son propre piège : sa rencontre avec l’autochtone ne lui donne rien d’autre à voir que ses propres fantasmes et la vision étriquée de son rapport au monde. En invitant ces communautés à se mettre en scène, à se parodier afin de mieux se protéger, on comprendra que l’oeuvre de Bertille Bak, éminemment politique, est une invitation au leurre, une résistance à l’uniformité.
Alexandre Mare The videos, installations and sculptures produced by Bertille Bak over the last ten or so years add up to a kind of implicit map. This cartography is oblique because the artist views things from the side, from the edges: the periphery of worlds, of cities, of practices, of uses and of costumes. She sees from the viewpoint of communities who are on the margins, not of reality, but of what is shown. Bak’s exhibitions take as their starting point social, urban groups, or workers, who are usually involuntarily positioned outside visibility. Bak immerses herself in their world, makes films and gets original pieces made using the traditional or local know-how which, when diverted, become signs of this very invisibility. The witness but also “gatherer” of these ob- jects, her work could, in several respects, be likened to that of the ethnographer. But, when also diverted, they are pushed to absurd lengths, verging on the pataphysical. That is what makes her singular work so powerful. Two particularly noteworthy exhibitions of hers were Circuits at the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (2012) and La Tour de Babel in Saint-Nazaire (2014). For the latter, the artist got a job on the construction of a liner. Out of this came videos and installations, among them the Complaisants, thirty-five flags of convenience made with the hair of onboard staff, and La Marée mise à nu par ses célibataires mêmes( The Tide Laid Bare by Her Bachelors, Even), a work playing on the fantasy of the sailor with a girl in every port. Titled Complexes de loisirs, the exhibition presented at Le Moulin art center provides a chance to see some of these earlier works (including the Complaisants) and above all, to discover a new piece: Usine à divertissement, coproduced by Le Moulin. This video triptych made in 2016 shows three communities (a village in Thailand, another in Morocco, and the people of Les Saintes-Maries-de-la-Mer) that are “visited” by a mass tourism that touts spectacle and authenticity, a quality that is, precisely, bound to disappear under the waves of holidaymakers. By combining the notions of the theme park and colonial exhibition, Bak blows up the real in what is an extremist approach. By parodying the local costumes of these three communities, she transforms them into an adventureland where, according to the qualities touted by the travel agents, we find maximum exoticism, together—although this is not explicitly stated—with the possibility of meeting the natives. The holidaymaker is then trapped by their own expectations: this meeting yields no more than the reflection of their own fantasies and the narrow vision of their relation to the world. By inviting communities to stage and parody their own reality the better to protect it, we can see that Bak’s eminently political work is an invitation to recognize deceit and to resist uniformity.
Translation, C. Penwarden