Joël Kermarrec ce qui circule What Circulates
Voilà plus de soixante ans que Joël Kermarrec joue. Avec les mots, les images, la peinture et son histoire. Né en 1969 à Ostende, en Belgique, il expose ses premiers dessins dès le lycée, grâce à la bienveillance d’une professeur de travaux manuels et sous l’égide des deux mécènes roubaisiens, Roger Dutilleul et Jean Masurel. Devenu étudiant à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris de 1959 à 1963, le jeune artiste sort très vite des formats institués. Si l’atelier est pour lui un lieu riche en échanges, il fuit les carcans de l’institution. Contre le point de vue unique, il multiplie les interprétations ; contre l’immobilité des modèles, il instaure une circulation vivante dans la toile. Rapidement, la rencontre de Paul Rebeyrolle marque son parcours, en l’amenant à rejoindre la « jeune peinture » en 1963. S’ensuivra celle du marchand Lucien Durand, chez qui il situe son « démarrage public ». Aujourd’hui, ses peintures, dessins et sculptures sont présents dans de nombreuses collections de Fracs, musées ou fondations, en France et à l’étranger. En 2010, il fait un don de cinquante ans de dessins aux collections de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », disait Socrate. Joël Kermarrec pourrait détourner les mots du philosophe grec à sa manière, en arguant : « Tout ce que je figure, c’est que je ne figure rien. » Pour lui, le réel échappe sans cesse à la représentation, et la représentation doit déborder des frontières du réel. Magritte et le surréalisme planent autour de son oeuvre. De dessin en toile, l’artiste, se méfiant de l’image, distille un univers onirique, peuplé de pantalons, de pierres, de raies, d’anges ou de figures mythologiques. Ne voulant pas être enfermé par la langue, il brouille les pistes, place mots et objets qui ouvrent d’autres portes, celles d’une « in-définition » de l’oeuvre. La narration parcellaire qu’il met en place fait appel à l’imagination du spectateur, comme dans ses Mots disloqués, dans lesquels les lettres sont dispersées. Un dessin ne se décrypte pas d’un seul regard. Il se parcourt dans le détail, porte en lui contradictions et sens multiples. LE PLAISIR DE DESSINER Imprégné d’histoire culturelle et philosophique, Joël Kermarrec parsème ses oeuvres de références. Mais identifier ces proches ou lointaines citations ne suffit pas. Il faut voir au-delà, comme si ce socle culturel commun n’avait pour but que de nous familiariser, de nous attirer pour mieux nous surprendre ou nous dérouter. Ce n’est pas sans malice que l’artiste revendique le plaisir de dessiner sur n’importe quel sujet. Par ailleurs, si son parcours est scandé par l’utilisation répétée de certains principes, comme les « fonds » ou les « ardoises », il ne le découpe pas en périodes. Plutôt que de séries ou de cycles, il préfère parler de « moments », amenés à se faire écho. Sans ordre ni hiérarchie, ils sont liés les uns aux autres, tenus par un flux de questions récurrentes sur les liens et les oppositions entre images et mots, dans une constante circulation des formes.
For more than sixty years now Joël Kermarrec has been playing with words, with images, with painting and with its history. Born in Ostend in 1969, this Belgian artist exhibited his first drawings when still at high school, thanks to the kind help of an art teacher, and under the aegis of two patrons from Roubaix, Roger Dutilleul and Jean Masurel. As a student at the École Nationale Supérieure des Beaux-arts in Paris from 1959 to 1963, he was soon venturing outside the established formats. He avoided the corseting effect of the institution, while appreciating the rich exchanges of the atelier. Rather than a single viewpoint, he offered multiple interpretations, setting up a living circulation on the canvas in order to avoid immobility. He met Paul Rebeyrolle and as a result joined the “jeune peinture” movement in 1963. The next significant encounter was with dealer Lucien Durand, to whom he attributes his “public start.” Today, his paintings, drawings and sculptures are found in numerous collections (FRACs, museums, foundations) in France and abroad. In 2010 he donated fifty years worth of drawings to his alma mater, the Beaux-arts in Paris. “I FIGURE NOTHING” “All I know is that I know nothing,” said Socrates. Kermarrec could turn the Greek philosopher’s words into, “All I figure is that I figure nothing.” For him, the real is constantly escaping the efforts of representation, and representation must seek to go beyond the frontiers of the real. Magritte and Surrealism hover around his work. From drawing to canvas, wary as ever of the image, the artist creates a dreamlike world full of pairs of pants, stones, skates (the fish), angels and mythological figures. Refusing to be hemmed in by language, he covers his traces, using objects and words to open other doors, those of an “in-definition” of the artwork. The fragmentary narrative that he puts in place challenges the viewer’s imagination, as in his Mots disloqués (Dislocated Words) in which letters are scattered about. A single look is never enough to decipher one of his drawings. It must be examined in detail for its multiple contradictions and meanings. Steeped in cultural and philosophical history, Kermarrec sprinkles references throughout his works. But it is never enough to identify these close or distanced quotations. We must look beyond, as if that common cultural base was there only to familiarize us, to attract us, the better to surprise or disorient us. There is an element of impishness in the artist’s overt pleasure in drawing on any subject. Indeed, if his career is structured by a number of recurring principles, such as the fonds (grounds) or the ardoises (slates), these do not involve a division into periods. Rather than series of cycles, he prefers to speak in terms of moments that echo each other. With no order or hierarchy, they are interlinked, held in a flux of recurring questions regarding the links and oppositions between images and words, in a constant circulation of forms.
Translation, C. Penwarden Joël Kermarrec Né en/ born 1939 à/ in Ostende Vit et travaille à/ lives in Paris Expositions personnelles récentes/ Recent shows: 2007 Cabinet des dessins Jean Bonnat, ENSBA, Paris 2008 Musée des Beaux-Arts, Nancy 2010 La Chaufferie, Strasbourg 2012 Galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch, Strasbourg 2013 Galerie des Modernes, Paris 2015-2016 Galerie Papillon, Paris 2017 La fabrique de l'improbable, Galerie Papillon, Paris (16 - 23 février)