PRÉSENCE DE CÉSAR
Renaud Bouchet Les Fers de César, 1949-1966. Le matériau et sa présence Presses universitaires de Rennes, 344 p., 25 euros
Je ne vois guère que Salvador Dalí pour partager avec César une réputation où se mêle pareillement célébrité populaire et détestation par une grande partie des professionnels, la première expliquant en grande partie la seconde. Et de la même façon que des ouvrages scientifiques ont annoncé et préparé la relecture de l’oeuvre de Dalí, cette étude, due à un historien spécialisé dans le nouveau réalisme et déjà auteur d’un livre sur Arman, pourrait bien être le signe annonciateur d’une réévaluation de l’ensemble de l’oeuvre de César, que le Centre Pompidou doit enfin consacrer par la rétrospective qui ouvrira à la fin de cette année. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que de prendre en compte précisément les aléas de la réputation du sculpteur, d’autant qu’il porte sur la période que les intégristes méprisent souvent pour son classicisme : les fers. Mais ce sont les fers qui lui avaient assuré ses premiers succès, après de longues années de galère. Quand, en 1954, la galerie Lucien Durand lui permit pour la première fois d’exposer, il avait trente-quatre ans ! Pourtant, non sans courage, il compromettait cette réputation à peine six ans plus tard avec les compressions. Puis, il y eut le Pouce, puis les expansions. César a désorienté une partie de ses amateurs, à commencer par le marchand qui l’avait pris sous contrat, Claude Bernard. Renaud Bouchet ne laisse aucune explication de côté et révèle toute la complexité de la situation dans laquelle s’est trouvé l’artiste. S’agissant de la réception aux États-Unis, il note ainsi l’erreur de stratégie de Claude Bernard, choisissant de le faire exposer chez un confrère new-yorkais trop « establishment », et il exhume un article critique très intéressant de Donald Judd qui commente notamment les toutes premières compressions. Mais l’essentiel de l’ouvrage porte bien sûr sur la très lente émergence du travail du fer, après de longues années de formation. César a, si l’on ose dire, tâtonné longtemps avant de découvrir que, grâce à la soudure à l’arc, il pouvait presque sculpter en « modelant ». S’appuyant sur des éléments biographiques et sur les nombreuses interviews données par César, l’auteur ne néglige aucun facteur, ni la pauvreté des débuts, ni l’innocence théorique qui a l’avantage d’éviter les a priori, ni la découverte de l’oeuvre de Gargallo, la fréquentation de Picasso, celle de Germaine Richier, ni la formidable maîtrise de ce « fil mystérieux [qui] relie l’oeil au poignet » et dont l’artiste disait qu’il n’apparaissait qu’après avoir longtemps exercé le coude et le bras. Avec les compressions, puis les empreintes ( Pouce, Sein), César a marqué l’histoire de la sculpture, mais c’est dans les fers soudés que l’on trouve des chefs-d’oeuvre, que l’on songe aux grands Nu ou aux Valentin. L’articulation entre les fers et les compressions est assez bien envisagée, quoiqu’il y aurait encore beaucoup à dire sur cette notion de « présence interne » que César disait rechercher et que réalisent sans doute le plus littéralement les compressions. Par ailleurs, un petit chapitre qui aurait envisagé l’écho des fers soudés jusque dans les expansions, en raison de l’intérêt porté au matériau qui dicte par lui-même la forme, aurait parachevé cette étude. Si l’on fait l’impasse sur les mille et une précautions démonstratives propres au travail universitaire et qui auraient pu être nettoyées pour l’édition, ce livre est une étape importante dans la connaissance d’une oeuvre capitale qui a pâti d’un milieu artistique français d’abord timoré, ensuite dogmatique.