Richard Texier Le Grand M Gallimard, 272 p., 20 euros

Nager avait en 2015 consacré le peintre et sculpteur Richard Texier comme un auteur des plus singuliers. Le Grand M, son second roman, met en scène une intrigue envoûtante. François, jeune professeur de littérature à la Sorbonne, coule des jours heureux avec sa compagne Laure. Un soir, pourtant, elle lui signifie son désir de rompre par une reproduction d’un tableau de Salvador Dalí, glissée dans la boîte aux lettres. Un SMS succinct ajoute : « Je ne viendrai pas ce soir, ni les jours suivants… Ta boîte aux lettres sait pourquoi. » Nulle inscription au dos de cette carte postale représentant un rostre dans un paysage mouvant, que Dalí décrit ainsi : « Une grosse tête, jaune comme de la cire, aux joues très rouges et aux très longs cils, avec un nez imposant pressé contre terre. Ce visage n’avait pas de bouche, et, à la place, était accroché un énorme criquet. L’abdomen du criquet se décomposait et regorgeait de fourmis. » Le Grand Masturbateur – titre qui cerne bien l’érotisme de ce chef-d’oeuvre surréaliste – infiltre peu à peu l’esprit de François et de Laure, en colonise l’imaginaire. Un charme sournois se propage, une malédiction, tapie en eux-mêmes, phagocyte jusqu’au réel... Richard Texier procède ici par touches incisives, pointillisme duquel émane une langue chatoyante, ainsi qu’un art consommé de la narration. S’esquisse un espace médusant, de l’ordre de l’éternel écho, s’affirme une langue ancrée dans le corps, propre à figurer un paysage ramené aux pulsions intimes. Réflexion sur les pouvoirs de l’art, le récit se décline en sensations colorées, en nuances de pigments. Son acuité en fait une fable d’une belle puissance incantatoire, tandis que s’enchevêtrent les forces sensuelles, auxquelles les amants sont soumis.