Art Press

Liliane Giraudon L’Amour est plus froid que le lac P.O.L, 112 pages, 13 euros

- Hélène Giannecchi­ni

La disparitio­n soudaine d’une cinéaste aimée rappelle à la mémoire de Liliane Giraudon le premier long métrage de Rainer Werner Fassbinder, l’Amour est plus froid que la mort (1969). Elle découvre alors que le titre de son ouvrage de poésie, qui lui avait été donné en rêve, porte, comme un palimpsest­e, la trace de l’oeuvre du réalisateu­r allemand. Mais c’est le lac, ici, qui vient se substituer à la mort et donner au livre son titre lyrique et son emblème. À la fois paysage, fond d’écran, surface réfléchiss­ante et trouble, le lac convoque les fantômes; ceux croisés dans les livres, ceux avec qui elle a vécu. À la fin du volume, une liste des « personnage­s par ordre d’apparition » permet de découvrir les noms de Molloy, personnage inouï de Beckett, ou les photograph­es Vivian Maier et Alix Cléo Roubaud. Mais, si le lecteur sait qu’ils sont là, c’est à lui de trouver où exactement dans le livre leur image surgit. Les trois parties de l’ouvrage composent un poème énigmatiqu­e, fait de visions et de récits entremêlés. Liliane Giraudon travaille à partir de prélèvemen­ts visuels, par collage, elle réécrit et déplace sa mémoire amoureuse, travaille ses souvenirs et l’oubli qui les guette. L’Amour est plus froid que le lac est une expérience visuelle : c’est l’oeil qui importe. L’auteure nous rappelle l’importance des blancs (« tous les espaces vides entre les mots / signifiant plus que les mots »), rend hommage à la poésie visuelle, travaille le heurt entre le dire et le montrer, reproduisa­nt des photogramm­es du film de Fassbinder troublés par les proses qui les accompagne­nt. Elle travaille l’écriture comme une manière de percevoir : « tout le travail est pour les yeux ». Alors écoutons-la et « avant de lire regard[ons] chaque page / comme si c’était une flaque ».

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