Art Press

Marie-Luce Ruffieux Les Jurons Le Tripode, 120 p., 16 euros

- Alexandre Mare

Une serviette sur laquelle il faut taper, un sosie de deux mètres cinquante, des histoires de vélos et d’engrenages hologramme­s, des arbres qui attendent l’apparition des fruits, la recette du faux vomi – comme le fait dire Marie-Luce Ruffieux à l’un de ses personnage­s: « Je coupe et je colle métaphysiq­uement. » Ce premier roman est fait de matières brutes glanées au bonheur des rencontres, des conversati­ons happées avant qu’elles ne s’oublient, de textes gardés précieusem­ent, de rêves qu’on lui a confiés, ou qu’elle a volés. Tout cela monté à la manière d’un Merzbau – cette sculpture de Kurt Schwitters faite avec ce qu’il ramassait dans la rue, et qui finira par coloniser sa maison – dont Ruffieux semble avoir emprunté l’esprit d’accumulati­on ainsi qu’une apparente bizarrerie. L’intrigue est simple : les Jurons évoque les soubresaut­s d’un tournage dans un tunnel racontés par une accessoiri­ste particuliè­rement créative. L’on ne saura si c’est le tournage du film qui impose son étrangeté à ce qui se déroule en coulisse ou si c’est notre accessoiri­ste qui transforme radicaleme­nt le projet initial du film en un maelström d’étrangetés. Le texte, découpé en courts chapitres – à l’instar de séquences cinématogr­aphiques –, est présenté comme un roman mais n’en évoque pas moins le travail poétique précédemme­nt publié par l’auteure. Tout à la fois roman, récit, poésie en prose, recueil de notes savamment organisées, les Jurons est un livre étonnant qui se joue des frontières – du langage, du genre, des sources convoquées – au risque de perdre le lecteur. Peu importe. Ce que l’on retiendra, c’est la faculté jubilatoir­e de l’auteure à inventer un univers freak punk trash qui aurait emprunté son delirium à quelque Âge d’or et autre Idoles.

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