Marie-Luce Ruffieux Les Jurons Le Tripode, 120 p., 16 euros
Une serviette sur laquelle il faut taper, un sosie de deux mètres cinquante, des histoires de vélos et d’engrenages hologrammes, des arbres qui attendent l’apparition des fruits, la recette du faux vomi – comme le fait dire Marie-Luce Ruffieux à l’un de ses personnages: « Je coupe et je colle métaphysiquement. » Ce premier roman est fait de matières brutes glanées au bonheur des rencontres, des conversations happées avant qu’elles ne s’oublient, de textes gardés précieusement, de rêves qu’on lui a confiés, ou qu’elle a volés. Tout cela monté à la manière d’un Merzbau – cette sculpture de Kurt Schwitters faite avec ce qu’il ramassait dans la rue, et qui finira par coloniser sa maison – dont Ruffieux semble avoir emprunté l’esprit d’accumulation ainsi qu’une apparente bizarrerie. L’intrigue est simple : les Jurons évoque les soubresauts d’un tournage dans un tunnel racontés par une accessoiriste particulièrement créative. L’on ne saura si c’est le tournage du film qui impose son étrangeté à ce qui se déroule en coulisse ou si c’est notre accessoiriste qui transforme radicalement le projet initial du film en un maelström d’étrangetés. Le texte, découpé en courts chapitres – à l’instar de séquences cinématographiques –, est présenté comme un roman mais n’en évoque pas moins le travail poétique précédemment publié par l’auteure. Tout à la fois roman, récit, poésie en prose, recueil de notes savamment organisées, les Jurons est un livre étonnant qui se joue des frontières – du langage, du genre, des sources convoquées – au risque de perdre le lecteur. Peu importe. Ce que l’on retiendra, c’est la faculté jubilatoire de l’auteure à inventer un univers freak punk trash qui aurait emprunté son delirium à quelque Âge d’or et autre Idoles.