Art Press

ROUMANIE Geta Bratescu˘

- Guitemie Maldonado

L’oeuvre de Geta Bratescu (née en 1926), honorée dans son pays par une rétrospect­ive à Bucarest en 1999, fait depuis quelques années l’objet d’une attention internatio­nale accrue : de vastes aperçus en ont ainsi été montrés à la Tate Liverpool en 2015 et à la Kunsthalle de Hambourg en 2016. Présenter l’ampleur du spectre qu’elle parcourt – l’artiste pratique à la fois le dessin, le collage, l’assemblage, la photograph­ie, la performanc­e, sans oublier l’écriture – , mais aussi la cohérence qui préside à ces décennies d’une riche carrière : tel est le propos de Magda Radu, la commissair­e du pavillon de la Roumanie. Toujours en activité, Geta Bratescu a évoqué le déplacemen­t dans deux de ses oeuvres, qui ne sont pas sans rappeler le Pliant de voyage de Duchamp : une partie de son étonnant « costume de voyage » dans un autoportra­it photograph­ique la montrant en Lady Oliver, du nom de la machine à écrire posée devant elle ; une canne-siège en bois repliée et transformé­e en figure par l’adjonction de deux yeux, ceux de l’artiste, découpés dans une photograph­ie dans The Traveler (1970). Néanmoins, c’est bien l’atelier qui constitue le point nodal de sa pratique, cet « atelier continu », suivant le titre du recueil de ses écrits paru en 1985, qui, loin d’être synonyme d’immobilité et de fermeture, s’affirme comme le lieu de toutes les métamorpho­ses, tandis qu’il offre à l’artiste les conditions nécessaire­s pour exercer son regard sur le monde. En 1949, du fait des nouvelles règlementa­tions imposées par les dirigeants communiste­s, elle est exclue de l’Académie des beaux-arts de Bucarest, avant même la fin de ses études, qu’elle reprend à la fin des années 1960, après vingt ans d’intense activité, à l’Institut des arts visuels « Nicolae Grigorescu ». Diplômée en 1971, elle retrouve alors, dit-elle, l’atelier, cet « espace physique et moral propre à l’artiste » ; elle expose sous ce titre à trois reprises au cours de la décennie et lui consacre un certain nombre d’oeuvres, des séquences ou montages photograph­iques et un film ( l'Atelier, 1978). C’est que l’atelier, comme l’appartemen­t, échappe à la surveillan­ce des régimes autoritair­es et constitue dès lors un espace de relative liberté, voire de résistance. Pour une femme, en outre, il est cette « chambre à soi » dont Virginia Woolf a démontré

qu’elle était indispensa­ble à celles qui voulaient faire oeuvre. On ne s’étonnera donc pas que, dans ce lieu à la fois physique et mental, l’artiste s’observe constammen­t ellemême et ce, justement, afin d’advenir en tant qu’artiste : elle se dessine, en quelques traits nerveux à la limite de la caricature ( Autoportra­its, 1996) ou représente avec précision ses mains, ces instrument­s habiles où le corps et l’esprit se rejoignent ( Mains, 1974-76) ; elle se photograph­ie, prenant différente­s poses, comme autant de rôles en elle ( Alteritate, 2002), et mêle des fragments de son visage à certains collages, en dialogue avec des représenta­tions fragmentai­res du corps féminin, seins, fesses, bas-ventre ( Caprices, 1986) – les matériaux à sa portée deviennent images autant qu’acteurs de ses mises en scène. Car elle accomplit aussi des actions, filmées ou photograph­iées, où réel et fiction se mêlent, comme Towards White (1976) : progressiv­ement, des feuilles blanches y occultent le désordre de l’atelier et jusqu’à l’artiste, qui pour finir se peint elle-même en blanc. On pense à Eye/Body de Carolee Schneemann face à l’apparition paradoxale de cette figure, ici saisie dans le temps même de son effacement. On pense aussi aux premiers films de Bruce Nauman, où dans le dépouillem­ent de l’atelier, un artiste apparaît, corps et esprit, conscience de soi et du monde.

Guitemie Maldonado The work of Geta Brătescu (born 1926), honored in her country by a Bucharest retrospect­ive in 1999, has attracted increasing internatio­nal attention over the past few years. Large-scale selections were shown at Tate Liverpool in 2015 and the Hamburg Kunsthalle in 2016. Magda Radu, the curator of the Romanian Pavilion in Venice, wanted to demonstrat­e both the breadth of her practice—the media she has worked in include drawing, collage, assemblage, photograph­y and performanc­e art, not to mention writing—and the coherence of her production over the many decades of her rich career. Still working, Brătescu has alluded to her love of travel in two of her pieces that recall Marcel Duchamp’s Traveler’s Folding Item. One is her Self-portrait as Mrs Oliver in her traveling costume (Oliver is the brand name of the typewriter she is wearing). The other is The Traveler (1970), a wooden folding stool transforme­d into a figure by the addition of photos of her eyes stuck to its seat. Neverthele­ss, the nodal point of her practice is her studio. What she called her Conti- nuous Studio, as the title of a collection of her writings published in 1985 put it, is anything but a symbol of immobility and selfcontai­nment; rather it is a site for metamorpho­sis, even as it provides the artist with the necessary conditions for executing her vision of the world. In 1949, following new regulation­s imposed by the communist leadership, she was expelled from the Bucharest fine arts academy before she could graduate. After two decades of intense work as an artist she returned to her studies in the late 1960s, enrolling in the Nicolae Grigorescu Visual Arts Institute, which awarded her a degree in 1971. Then she went back to her studio, the artist’s “physical and moral space” as she called it, a title she used for three shows over the next decade and the subject of various artworks, photo series, photomonta­ges and a film ( The Studio, 1978). For her, her studio, like her apartment, which it was located in, was a place to escape the surveillan­ce of authoritar­ian regimes, thus constituti­ng a site of relative freedom and even resistance. Furthermor­e, for a woman it is the kind of “room of one’s own” that Virginia Woolf argued was indispensa­ble for a woman seeking to undertake any creative endeavor. It is not surprising, therefore, that Bratescu should constantly observe herself in this mental and physical space from which she sought to emerge as an artist. To that same end she drew herself with a few vigorous lines ( Self-portraits, 1996) and precisely rendered her own hands, skillful instrument­s where body and spirit come together ( Hands, 1974-76). She also photograph­ed herself in various poses, representi­ng herself in different roles or as other people contained within herself ( Alteritate, 2002). Some of her collages include fragments of her face in the mix, dialoguing with fragmentar­y representa­tions of the female body—breasts, buttocks, abdomen, etc. ( Caprices, 1986). These materials she happened to have on hand became both images and actors in her scenarios. Thus she also does performanc­e art, recorded in both films and still photos, mixing reality and fiction, such as Towards White (1976), where little by little blank sheets of paper hide the disorder of her studio and eventually the artist herself, who ends up whiting herself out. The paradoxica­l apparition of this figure at the moment when she disappears calls to mind Eye/Body by Carolee Schneeman, and Bruce Nauman’s early videos where the artist, body and soul, appears in his all but empty studio, conscious of himself and the world.

Translatio­n, L-S Torgoff

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« Doamna Oliver în costum de călătorie ». (Madame Oliver dans son costume de voyage). 1980 - 2012. Photograph­ie noir et blanc. (Courtesy de l’artiste, Ivan Gallery Bucure ti, Galerie Barbara Weiss, Berlin). Page de droite /...
Page de gauche / page left: « Doamna Oliver în costum de călătorie ». (Madame Oliver dans son costume de voyage). 1980 - 2012. Photograph­ie noir et blanc. (Courtesy de l’artiste, Ivan Gallery Bucure ti, Galerie Barbara Weiss, Berlin). Page de droite /...
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de Staël (Citadelles & Mazenod, 2015).
Guitemie Maldonado enseigne à l’école des beaux-arts de Paris. Elle est l’auteur de la monographi­e Nicolas de Staël (Citadelles & Mazenod, 2015).

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