AUSTRALIE Tracey Moffat
L’ambitieuse exposition de l’artiste australienne Tracey Moffatt pour la Biennale de Venise s’intitule My Horizon. « J’ai emporté un appareil photo dans des lieux inconnus et j’ai créé des photo-dramas, dit-elle. J’utilise des mannequins, des acteurs et des gens que je trouve dans la rue. Le rendu de mes deux séries de photographies et de mes vidéos rappelle celui des vieux films, tout en faisant référence à l’histoire de la photographie. Mes histoires mêlent fiction, réalité et certains aspects de mon histoire familiale. » Moffatt a grandi dans une famille d’accueil à Brisbane. Par la suite, elle a travaillé à Sydney comme photographe officielle de l’Aboriginal Islander Dance Theatre. Elle entame à la fin des années 1980 une carrière personnelle avec Something More, étonnante série de grands autoportraits photographiques sur toile peinte. Certaines de ses premières oeuvres évoquent sa mère ; elle dit ne pas savoir qui est son père, pour qui trois noms ont été suggérés. « À Venise, je veux tendre mes narrations filmées vers des domaines imaginaires. La ligne d’horizon du titre My Horizon peut représenter un désir profond de fuite vers un ailleurs. » Depuis plus de dix ans, Moffatt s’est « enfuie » à New York où elle a exposé chez Matthew Marks. Son oeuvre a été montrée dans des foires et des galeries en Allemagne, en Corée du Sud, à Taïwan et en Suède. Pendant cette période, elle produit de nombreuses séries d’oeuvres, parfois humoristiques comme Under the Sign of Scorpio (2005), où elle incarne le rôle de célèbres femmes Scorpion, parfois empreintes d’un érotisme sombre comme Lau- Ci-dessus / above:
« Hell ». Issu de la série « Passage ». 2017. Photographie sur papier glacé. 105.5 x156cm. (Court. de l’artiste et Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney et Tyler Rollins Fine Art, New York).
danum. D’autres projets témoignent d’un sens aigu de l’observation, telles les vingtsix images de sa série Fourth, montrant des nageurs et des athlètes olympiques arrivés quatrième de leur épreuve. « Ces images montrent le moment terrible où l’athlète vient de finir sa course, se retourne ou regarde autour de lui pour voir le résultat et se rend compte qu’il est arrivé quatrième ! La plupart du temps son visage n’exprime rien, c’est une expression composée qui traverse le visage humain. C’est un masque horrible, magnifique, conscient, qui dit : Oh, merde! » Moffatt évoque souvent l’importance de l’« échec » dans la production de son oeuvre. Les oeuvres choisies pour Venise sont le résultat, dit-elle, « de semaines et de mois d’échec ». Natalie King, de Melbourne, curatrice du projet pour le pavillon australien de Venise (commissionné par Naomi Milgrom), situe l’oeuvre de Moffatt quelque part entre fiction et histoire. « Sa nouvelle oeuvre est constituée de récits imaginaires extrêmement mis en scène, dans des photo-dramas qui croisent photographie, cinéma et vidéo », explique-t-elle. « Ses scénarios et ses vignettes mélodramatiques, savamment construits, fourmillent de références au cinéma, à l’art et à l’histoire mouvementée de la photographie, ainsi qu’à certains aspects de son histoire familiale. Dans leur chorégraphie, sa galerie de personnages évoque les voyages et les arrivées, l’occupation et la dépossession, la colonisation et les massacres, les pertes et la nostalgie. Moffatt révèle ainsi le rythme de notre époque. » Évoquant le succès de Donald Trump, l’éloignement du Royaume-Uni de l’Europe et les prochaines élections aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, King affirme que la nouvelle oeuvre de Tracey Moffatt nous force à regarder « ce qui pourrait être à l’horizon, et à réfléchir à la manière dont nous vivons, en ces temps de bouleversements immenses. »
Peter Hill Traduit par Laurent Perez Australian indigenous artist Tracey Moffatt has titled her ambitious installation for the Venice Biennale My Horizon. She tells me, “I have taken my camera into unknown locations and created photodramas. I use models, actors and people I find on the street. The look of my two photo series and videos recalls old movies while referencing the history of photography. My stories meld fiction, fact and some aspects of my family history.” Moffatt was a foster child, growing up in the city of Brisbane, but later working in Sydney as official photographer for the Aboriginal Islander Dance Theatre, while building her own career in the late 1980s and early 1990s through her astonishing Something More series of photographic self-portraits against vast painted backdrops. Some of her early work references her mother, and she claims not to know who her father is, although three names have been suggested. “But in Venice,” she continues, “I want to extend my filmic narratives into imaginary realms. The horizon line encapsulated in the title, MY HORIZON, can represent a yearning for escape to ‘another place’.” For over a decade, Moffatt escaped to New York where she exhibited with Matthew Marks and her work was shown at art fairs and commercial galleries in Germany, Korea, Taiwan, and Sweden. She created many different series of works during this period—some humorous, such as Under the Sign of Scorpio (2005) in which she acted out the roles of famous female Scorpios, others darkly erotic as in her Laudanum series. Other projects are piercingly observant, such as the twenty-six images in the series Fourth of Olympic swimmers and athletes who come fourth in their race, missing any kind of medal or acclaim. Moffatt says, “They show the acute moment when the athlete has just finished their final, turning or looking to see the outcome, and finding out the result that they came fourth! Most of the time the expression is expressionless, it’s a set look, which crosses the human face. It’s an awful, beautiful, knowing mask, which says ‘Oh shit!’” She often talks about the importance of “failure” in the realisation of her own work, and says the resolved works for Venice came out of “weeks and months of failure.” Placing Moffatt’s work somewhere between fiction and history, Melbourne-based Natalie King, curator of the project for the Australian Pavilion in Venice (Naomi Milgrom is commissioner), tells me, “Her new work is filled with imaginative narratives as she works across photography, film and video in highly staged photo dramas. Her carefully constructed scenarios and vignettes are melodramatic and resonate with references to film, art and the epic history of photography, as well as aspects of her family history. Journeys and arrivals, occupation and dispossession, colonization and massacres, loss and longing are alluded to in her choreographed cast of characters. In doing so, Moffatt shows the tempo of our times.” And alluding to the advance of Donald Trump, the receding form of the UK from Europe, and coming elections in Netherlands, France, and Germany, King says Tracey Moffatt’s new work forces us to consider, “what might be over the horizon, while reflecting on the way we live in precarious times of seismic upheaval.”