Un grand siècle érotique
Le Grand Siècle déshabillé. Anthologie érotique du 17e siècle. Édition établie, annotée et présentée par Jean-Paul Goujon Robert Laffont, « Bouquins », 1152 p., 30 euros Si le 18e siècle fut libertin, le 17e vit paraître les premiers grands textes érotiqu
Avec son anthologie érotique du 17e siècle, Jean-Paul Goujon rappelle que l’invention de la figure de Don Juan – née en 1630 chez Tirso de Molina puis réinterprétée par Molière en 1682 –, sa verve et sa vigueur sexuelle reflètent l’impétueuse libido d’une époque dont le classicisme artistique et littéraire n’a pas réprimé la verdeur et le goût pour les choses du sexe. Goujon a aussi le mérite d’être un fin connaisseur de l’oeuvre de Pierre Louÿs. Dans ce recueil, il tire de l’oubli des textes peu connus, qui, pour certains, n’avaient jamais été réédités. Ces trésors de paillardise et de mysticisme galant toujours au bord de l’emphase, ces sulfureuses décharges blasphématoires à l’égard des puissants, sécrètent l’humeur libertine d’un siècle trop souvent réduit à un monolithe de dignité prude et d’affects étouffés à la cour d’un Roi-Soleil tout puissant. La sexualité, machine à subvertir et/ou à parodier les genres, érotise tous les discours – oraisons, contes, chansons, sonnets, dialogues philosophiques – puisque c’est bien l’oralité qui l’emporte le plus souvent ici. Dans le cadre d’une production littéraire qui varie tout au long du siècle, au gré d’un contexte politique plus ou moins permissif – Régence, Fronde, règne de Louis XIV –, l’érotisme relève de la rhétorique. Dans cette sélection de textes, alternent, d’une part, l’éloquence de l’obscène, d’un « art foutatique » qui se repaît d’un rire gras et brutal pour dire tout et spermatiser à l’envi, et, d’autre part, la grandiloquence d’un langage voilé dont le raffinement atteint au ridicule à force de circonvolutions décoratives, de litotes et de métaphores rebattues. Liberté rime avec grossièreté chez CharlesTimoléon de Sigogne (1560 ?-1611), entremetteur d’Henri IV qui assène dans une épigramme bien troussée : « Elle sucerait bien la goutte / De quelque gros vit reboulé / Mais je veux qu’un goujat la foute / Avec un concombre pelé. » Sous la plume exubérante du bénédictin André Valladier (1565-1638), docteur en théologie et prédicateur du roi, le dithyrambe aussi éjacule dans un délire de spasmes sans fin, dont la sensualité est masquée cette fois par la noblesse et la chasteté de sa fonction religieuse. Valladier s’autorise les déclarations les plus légères dans ce flot oratoire. C’est ainsi qu’il s’enflamme dans son épitre à Marie de Médicis précédant sa Saincte Philosophie de l’âme, sermons pour l’Advent preschez à Paris à St. Médric l’an 1612 : « Quant aux deux fontaines cristallines de lait que l’époux s’écrie être belles, quam pulchrae sunt mammae tuae ! que vos mamelles sont belles ! qu’il dit être meilleures que le vin, qu’il compare ores aux grains de raison de la vigne arrondis en perfection et remplis de liqueur agréable ; ores aux faons jumeaux du chevreuil, polis, rebondis et refaits ; combien de merveilles et de sucre y a cachés le Créateur ! » L’art de l’amour et l’art de la parole ne font qu’un. Le verbe se fait chair. Pour le lecteur contemporain, les mots se chargent d’une corporéité d’autant plus savoureuse que leur désuétude accentue leur mystère. Le sens perdu de l’ancien français laisse s’épanouir la truculence poétique des sonorités. L’anatomie féminine se redessine à travers un vocabulaire délicieusement détaillé : « amarry » désigne l’utérus, « ballole » le clitoris, « baliveaux » les lèvres de la vulve, « baleures » les lèvres basses de la vulve, « gimbamdault », le bord des lèvres de la vulve, « opopondrilles » les petites lèvres du vagin… Quant à l’organe masculin, il devient « bourdonnet », « cas », « courtault », « mentule », « pastanade », « vipaillon ». C’est aussi l’occasion d’apprendre que « vesser » signifiait péter silencieusement. Car le 17e siècle ne répugnait pas à la scatologie. Dans un échange épistolaire fameux, la princesse Palatine et sa tante, la Princesse électrice Sophie de Hanovre, n’abusent-elles pas avec jubilation des termes « merde » et « chier », cités presque à chaque phrase dans une escalade excrémentielle vertigineuse ? Le corps, parfois sale, se matérialise donc dans l’écriture à travers une concrète attention à ses bruits intempestifs et à ses fonctions naturelles. L’INCOMPRÉHENSIBLE DE L’ÊTRE Mais c’est sans doute lorsque la littérature allie désir charnel et désir de connaissance pour faire l’éducation sexuelle du lecteur, en lui proposant le savoir le plus méthodique et lucide possible sur les mécanismes de l’amour, qu’elle est la plus audacieuse. Le réalisme scabreux des Confessions de Jean-Jacques Bouchard (1606-1641), restées inédites jusqu’à la fin du 19e siècle, dissèque l’intimité d’un individu en décrivant ses masturbations enfantines et ses aventures homosexuelles et en tentant d’expliquer son impuissance ponctuelle. Que cette oeuvre, qui est écrite à la troisième personne et qui met en scène un homme appelé Oreste, ne soit pas réellement autobiographique – les critiques modernes ne s’accordent pas sur cette question – importe peu. Il s’agit avant tout de jouir des expériences auxquelles Oreste s’adonne avec une franchise inédite, en convoquant parfois la science : « Ayant été quérir à Paris quantité de livres de médecine traitant de de generatione […] il se mit à faire sur cette fille les expériences des choses plus rares qu’il trouvait écrites. » Il précise plus loin : « Il entra si avant en conférence avec elle, qu’il lui fit sur son propre sexe des démonstrations manuelles. » Le langage n’excite plus seulement les sens mais traque aussi l’incompréhensible de l’être, cherche du sens dans les énigmes de la sexualité. L’érotisme est une pratique : au lecteur de l’appliquer à son tour.