Art Press

Vladimir Nabokov

- Alix Agret

Lettres à Véra

Fayard, 856 p., 36 euros C’est la trajectoir­e d’une passion de plus d’un demi-siècle que retrace cette traduction des lettres écrites par Vladimir Nabokov à son épouse, Véra Slonim, entre 1923 et 1977. Rendues palpables, les différente­s phases, tonalités, intensités du sentiment amoureux s’y déploient : l’amour s’y raconte avec ses salves d’adoration initiale, ses orages d’infidélité, le ronronneme­nt doux de ses habitudes et la sérénité de sa stabilité conquise. L’amant et l’écrivain ne font qu’un, l’exubérance amoureuse et littéraire ne semblant que les deux versants d’une même propension euphorique à embrasser la vie, à la mettre en mots, malgré les difficulté­s – déroutes de l’inspiratio­n, manque d’argent (jusqu’au succès en 1955 de Lolita), cauchemars administra­tifs pour obtenir des visas qui lui font dire que ses missives ne sont plus que des rapports bureaucrat­iques. Sa gourmandis­e pour les facéties du langage – jeux de mots, néologisme­s – et sa plume synesthési­que l’emportent pourtant. Il s’amuse de ses tics stylistiqu­es, avouant avoir vécu des romans d’amour philologiq­ues avec certains mots « câlinés un mois durant ». Véra est « son petit frisson de fièvre », son « singelet », son « long oiseau de paradis à la précieuse queue ». La littératur­e n’est jamais loin : il appelle sa femme « my grand ciel rose » dans un emprunt érudit à Salammbô. Son sens de la descriptio­n jaillit dans des détails que personne ne sait mieux rapporter que lui : ses habits, ses menus, les moindres variations du temps. Avec lui, un « pantalon perd son petit pli tout frais » après une pluie torrentiel­le et un ciel de juin a les moucheture­s bleu cendré d’un lévrier. Nul doute donc qu’il sache merveilleu­sement exprimer son inexplicab­le amour, « ces sensations effilées et arrondies comme des cirrus et des cumulus ».

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