Pierre Ducrozet
L’Invention des corps
Actes Sud, 304 p., 20 euros Álvaro est un hacker de haut vol. En 2008, il participe, avec les Anonymous, à l’offensive contre l’Église de scientologie et commence ainsi sa lutte contre le capitalisme tout puissant du 21e siècle. Il erre sur les routes et dans les tréfonds du net, magnifique et invisible, puissant et pauvre à la fois. Professeur d’informatique à l’École normale rurale d’Ayotzinapa dans l’État de Guerrero au Mexique, il est témoin des assassinats d’Iguala impliquant la police corrompue contre le bus d’étudiants qu’il accompagnait le 26 septembre 2014. Il s’enfuit sans laisser de traces. Dépourvu de tout sentiment, seulement guidé par l’instinct de survie, il passe clandestinement la frontière jusqu’à Los Angeles. L’Invention des corps s’ouvre alors à une multitude de personnages. Les hackers les plus talentueux rencontrent les transhumanistes, qui eux-mêmes financent les entreprises les plus puissantes du monde. D’une phrase à l’autre, sans que le lecteur en soit prévenu, c’est l’histoire du cerveau d’Einstein et celle des parents de Werner, l’inventeur d’internet, celle d’Adèle, jeune biologiste opposée au richissime Parker Hayes, dont le désir maladif d’immortalité mène aux pires expériences de transplantation d’organes. Le passé de l’humanité a formé les corps du 21e siècle, qui se mêlent ou s’affrontent jusqu’à l’explosion. Le roman rhizomatique de Pierre Ducrozet est virtuose dans sa capacité à faire apparaître les enjeux fondamentaux de notre temps. Si la lecture est parfois troublée par la volonté appuyée de l’auteur de confronter la réalité tangible des corps à celle, invisible, de l’informatique, cet ouvrage témoigne d’une écriture remarquable, au rythme effréné, et dénonce avec précision la prise d’otage du monde connecté par les G.A.F.A.M. et, par ce biais, celle de l’humanité.