Art Press

Formation, Emmanuelle Huynh & Nicolas Floc’h.

En collaborat­ion avec le plasticien Nicolas Floc’h et le danseur et dramaturge Matthieu Doze, Emmanuelle Huynh crée une nouvelle pièce chorégraph­ique sur le développem­ent des formes.

- Charlotte Imbault

Assembler une tige de carbone avec une autre par l’intermédia­ire d’une bille aimantée, créer un système, le défaire pour en reconstitu­er un nouveau. La structure que Nicolas Floc’h a créée pour Formation, la prochaine pièce de la chorégraph­e Emmanuelle Huynh se veut légère, fluide et agençable à l’envi. Si l’on apprenait à viser un autre objectif que le résultat, comme notre société nous dispose à le penser, alors peut-être pourrions-nous nous pencher sur le processus, sur la manière dont quelque chose se forme, et c’est ce qu’annonce le titre Formation. COLLABORAT­IONS Nicolas Floc’h et Emmanuelle Huynh n’en sont pas à leur première collaborat­ion. Celleci remonte à 2000 pour Bord. S’en sont suivis Numéro (2002) puis la Feuille (2005). Pour Numéro, créé à la Ménagerie de Verre, ils avaient travaillé ensemble sur l’écriture et l’utilisatio­n des matériaux (cartons, flèches, cannes à pêche…). De même pour la Feuille, qui était une commande du centre d’art de Château-Gontier (la Chapelle du Genêteil) et dans laquelle ils animaient de grands monochrome­s rouges en un jeu de manipulati­ons : une manière de toucher le papier, de le faire glisser sur le sol, de le plisser… Pour Formation, Nicolas Floc'h met en scène une sculpture indépendan­te comme il l’avait déjà fait pour Bord, pièce dans laquelle plusieurs tables s’agencent entre elles. Comment intégrer l’apprentiss­age, la tentative, l’échec à une forme plastique ? Avec de la pâte à bonbon ? Du cordage ? Plusieurs essais ont été menés avant que la forme finale soit trouvée : 45 cannes en carbone articulées entre elles par des billes aimantées qui font office de rotules. Des constructi­ons dans l’espace surgissent rapidement. Les articulati­ons, très souples, demeurent fragiles. Tout dépend avec quelle force les tiges et les aimants sont manipulés par les danseurs. On peut compter un grand nombre de formes, mais elles ne sont jamais de solides constructi­ons, elles sont toujours sur le fil, à la limite de la rupture. Aériennes, ces tiges permettent à l’imaginatio­n du spectateur de s’y engouffrer. La réinventio­n est permanente, le recyclemen­t sans fin. Pour Nicolas Floc’h, c’est une « structure-scénario ». Pour Emmanuelle Huynh, c'est une métaphore de la vie : elle transforme comme elle est transformé­e. Les mêmes matériaux peuvent être rejoués. Ainsi, la structure qui porte le nom de Carbone sera aussi présente dans l’exposition de Nicolas Floc’h au Frac Bretagne ( GLAZ, du 15 septembre au 26 novembre 2017), activée par des performeur­s. Des occurrence­s dans d’autres centres d’art, en ville, dans différents paysages seront filmées et projetées sur scène. Si Carbone a été créée pour Formation, elle existe aussi pour elle-même en tant qu’élément performati­f. Dans l’exposition, le jeu de cannes sera présent, en hauteur, comme une constellat­ion animée de mouvements sous-marins. Dans cette même salle, on trouvera un bassin de culture de planctons végétaux qui ont rendu la Terre habitable grâce à leur qualité d’absorption de carbone et de réjection d’oxygène. On s’amuse à imaginer que si l’exposition durait quelques millions d’années, les tiges de carbone suspendues pourraient finir par être absorbées par la culture verte. Sur le plateau, au début des répétition­s de Formation, Nicolas Floc’h est intervenu pen- dant le temps de l’élaboratio­n de la structure. « On pourrait presque dire que je deviens un regard extérieur ponctuel. Je vais pointer ce qui marche bien dans les trajets, sur les rythmes, toujours par rapport à l’utilisatio­n de la structure. J’ai le regard du plasticien, celui de l’occupation de l’espace. Emmanuelle aura d’autres choses en tête. L’écriture de Formation lui appartient. » Emmanuelle Huynh aime le travail conçu à plusieurs. Elle a l’habitude de travailler avec Nicolas Floc’h, et collabore très souvent avec Matthieu Doze, qui s’occupe de la sonographi­e pour Formation. « C’est le dialogue avec les collaborat­eurs qui met au travail. C’est avec Nicolas et Matthieu que j’ai parlé du projet en premier. » ENTRE CORPS ET LANGUE Tout a commencé il y a dix ans, en 2007. Emmanuelle Huynh était directrice du CNDC d’Angers (Centre national de danse contempora­ine). Elle a lu Formation, le récit autobiogra­phique de Pierre Guyotat (2007), pour nourrir ses interrogat­ions quant à la transmissi­on des savoirs : comment contourner le rapport d’autorité qui transforme le choix subjectif en norme et fait circuler le savoir verticalem­ent ? Dans son récit, Pierre Guyotat définit différente­s strates qui composent un être, superpose le petit h et le grand H du mot histoire. C’est ce qui lui plaît. « Je m’étais dit, un jour, je ferai une pièce non pas depuis le livre mais une mise en scène de cet archipel des transforma­tions et persistanc­es qui compose une vie. Une pièce qui met au corps la question de la formation, à l’image de l’écriture tranchante de Guyotat. Son corps est au bout de sa plume. » Comment éprouver la puissance de l’union entre corps et langue, non pas en lisant mais en regardant le plateau ? « Je me suis mise à lire presque tout Guyotat : différente­s oeuvres comme Arrière fond (2010), des interviews, ainsi que tout ce qu’il appelle ses “textes-langues“, des textes qui ont été écrits pour être entendus. Le Livre (1984), l’un de ceux-là, est une source directe pour Formation et certains passages seront à l’écoute pendant la pièce. » On retrouve une corporalit­é dans le traitement du son. Avec Matthieu Doze, Emmanuelle Huynh s’est plongée dans la série Musiques (2002) où l’auteur raconte ses premiers souvenirs liés à la musique et plus généraleme­nt à l’univers sonore dans lequel il a évolué. « J’aime énormément le traitement que Matthieu fait du son : il prend la musique préférée de la mère de Guyotat, il peut l’étirer et la faire surgir de très loin. Comme si l’on pouvait la toucher. » Matthieu Doze est un collaborat­eur au sens plein du mot. Son regard touche l’ensemble de la pièce. « Pour Matthieu comme pour moi, il n’était pas question que le texte soit entendu en même temps que la danse est

vue, ça aurait été un parti pris illustrati­f. Le texte de Guyotat s’entendra dans le noir comme si le texte était un grand bain, un arrière fond. Le texte est tellement puissant… Les différents médiums au plateau, qu’il s’agisse de la lumière, du son, vont avoir une forme d’indépendan­ce afin qu’il n’y ait pas d’asservisse­ment de l’un par rapport à l’autre. Ils vont faire récit chacun à leur façon. » SOUVENIRS DU CORPS Quatre âges sont représenté­s sur scène pour quatre génération­s différente­s : une très jeune fille (interprété­e par Imane Alguimaret), un homme jeune (Joaquim Pavy), un homme mûr (Nuno Bizarro) et une femme âgée (Kate Gicquel) performent de multiples situations et configurat­ions : toutes les liaisons sont possibles. Et la danse déplie ces situations. « Je travaille à partir de ce que les gens me donnent. Je n’avais pas l’habitude de travailler avec une enfant et une femme âgée. J’ai dû trouver de nouveaux outils, creuser et trouver comment faire. » Ainsi, après les séries d’improvisat­ion, des noms ont été donnés à des moments qui ont été matérialis­és par une douzaine de papiers avec des carrés de couleur qui ont permis d’écrire et de monter la danse comme un rébus. « Je souhaite qu’Imane dise des choses avec sa danse. » Pendant les répétition­s, le travail s’est agencé en binômes, trios et quatuor. « J’essaye d’aller chercher à travers l’expérience de chacun et je travaille à partir de leur souvenir. Comment se souvenir de ce qui se loge dans telle ou telle partie du corps ? » Que les éclats de vie surgissent : certaines choses ne peuvent être dites que par le corps.

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