Éditorial Une passion, pas que française, l’épuration
Purifying history, fouling the present.
Cette passion-ci, l’épuration, est largement partagée. Par nos démocraties occidentales (si on peut encore appeler démocraties des États où ce sont des minorités qui imposent leur loi). Elle va de pair avec la passion d’interdire (cf. nos précédents éditos) et avec la passion de la soumission (relire, de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, toujours d’actualité). Par épuration, entendons épuration de la mémoire, épuration de l’histoire, épuration des arts et de la littérature. Il fut un temps, pas si lointain, où un pays d’Europe de haute culture, l’Allemagne, fut pris de cette funeste fièvre. Nous n’en sommes pas encore là : on ne brûle pas les livres, on se contente de mettre à l’index de grands auteurs, notamment dans certaines universités américaines ; on déboulonne et détruit les statues. Prenons l’affaire de Charlottesville, symptôme parmi d’autres de cette rage d’épuration qui gagne nos démocraties. Elle est contagieuse. Avant que la statue du général sudiste Robert Edward Lee n’ait été détruite, en toute illégalité, le maire de New York avait proposé de déboulonner la statue de Christophe Colomb, offensante pour les Amérindiens. L’idée a fait des petits en Grande-Bretagne : sus à la statue de l’amiral Nelson ! à qui il est reproché d’avoir défendu l’esclavage (au fait, les vertueux dirigeants des États du nord des États-Unis n’ontils pas eu, eux aussi, d’esclaves ?). Selon le sociologue québécois, Mathieu Bock-Côté, il s’est trouvé au Canada un syndicat d’enseignants exigeant de rebaptiser le nom des écoles portant le nom d’un des pères fondateurs du pays, John A. Macdonald, parce qu’il était un des symboles de l’expansion européenne et de la colonisation des Amériques. Puis-je suggérer, dans un même esprit, qu’on débaptise au plus vite nos écoles françaises portant le nom du promoteur de l’école publique laïque, Jules Ferry, au titre qu’il fut aussi un des importants artisans de l’expansion coloniale française. Concernant les statues, comment tolérer à Paris ce Louis XIV (partisan de l’esclavage, massacreur de protestants) sculpté par Bernin ? Et toutes les effigies d’autocrates, rois de France, empereurs (le musée du Louvre en est riche), Napoléon, bien sûr (2005, le gouvernement français a refusé de commémorer Austerlitz), et pendant qu’on y est le général de Gaulle dont des propos bien connus pesaient leur poids d’« islamophobie » ? Que nos épurateurs, obnubilés par les crimes abominables dont le seul Occident chrétien s’est rendu coupable, comme on sait, ne négligent pas peintures et films ! Suivons le noble exemple d’un cinéma de Memphis qui a récemment déprogrammé Autant en emporte le vent. Censurons les westerns où sont « stigmatisés » les Indiens qui ne sont pas figurés comme les doux et pacifiques témoins de Jéhovah qu’ils étaient (cachez-nous ces scalps que ne saurions voir !). Que les ligues féminines et anti-tabac fassent interdire tout film où une femme fait commerce de ses charmes, montre ses fesses, fume une clope, trompe son mari, tue son amant, fait la popote et torche le cul de ses mômes (la justice ne vient-elle de faire savoir au maire d’une petite commune de France qu’on ne devait pas dégrader ainsi l’image de La Femme). Quant aux livres et aux tableaux… Prévoyons un immense autodafé sur la place de la Concorde. Une fois dissipée la fumée s’élevant des livres d’art où il est question d’art nègre, des romans du sudiste Faulkner, des ouvrages des antisémites Céline et Heidegger, des pornographes Sade et Bataille, des machos et amateurs de corridas Picasso et Hemingway, des pédophiles Nabokov, Klossowski et Balthus…, une fois délivrés du Mal, c’est sous un ciel purifié que nous évoluerons, menacé, il est vrai, par la seule pollution de l’air que nous devrons paradoxalement à une autre épuratrice en chef, Madame le maire de Paris.
Jacques Henric
It’s a passion that is widely shared in Western democracies (if you can use that word for states where minorities impose their will). It goes hand in hand with passions for prohibition (cf. earlier editorials ) and for submission (see the still topical Discourse on Voluntary Servitude by La Boétie). By purification, we mean the selective editing of memory, the cleansing of history, the arts and literature. There was a time, not so long ago, when a cultivated European country, Germany, succumbed to this dire fever. Of course, we’re not there yet: no book-burnings, just censorship of great authors, especially in a number of American universities. Statues are being pulled down and destroyed. Take the case of Charlottesville, one symptom of the contagious purifying passion sweeping through our democracies. Before the statue of the Confederate general Robert E. Lee was destroyed— quite illegally—the mayor of NewYork suggested that Christopher Columbus be removed from its plinth as it offended Native Americans. This inspired bright sparks in the UK to suggest pulling down statues of Nelson because the admiral defended slavery (just a minute, didn’t the virtuous leaders of theYankee states also have slaves, back in the day?). According to a Quebecer sociologist, Mathieu Bock-Côté, a group of teachers in Canada are campaigning to remoniker schools named for one of the country’s founding fathers, John A. Macdonald, because he is a symbol of European expansionism and the colonization of the Americas. In line with which, may I suggest that we in France rechristen all schools named after the great champion of secular public education, Jules Ferry, since he was a major artisan of French colonial expansion. And speaking of statues, how can Parisians tolerate the image of that pro-slavery Protestant-killer Louis XIV sculpted by Bernini? And think of all the other autocrats, kings of France and sundry emperors (the Louvre has a rich collection), not least Napoleon (in 2005 the French government refused to commemorate Austerlitz), or, while we’re at it, General de Gaulle, whose wellknown dicta get the ‘Islamophobia’ alarms screeching. These purifiers made purblind by their obsession with the abominable crimes of Christendom (and no one else) have their work cut out in art and cinema. A noble movie theatre in Memphis recently nixed Gone with the Wind, so let’s fill our tumbrils with all those nasty Westerns ‘stigmatising’ the Indians who, as we know, were peace-loving proto-hipsters who wouldn’t scalp a fly. Campaigners for women’s dignity need to ban films in which any female makes money from her charms, shows her ass, smokes (welcome, the anti-tobacco league), cheats on her mate, kills her lover, cooks dinner or changes baby’s diaper (the mayor of a French town has just had his knuckles rapped by the law for allowing such degrading images of womanhood). As for books and paintings, a nice bonfire on Place de la Concorde should do the trick. Once the smoke has carried away the pictures of art nègre, novels by the pro-South Faulkner, writings by the anti-Semites Céline and Heidegger, the pornographers Sade and Bataille, the bull-slaughtering machos Picasso and Hemingway, the paedophiles Nabokov, Klossowski and Balthus, etc. we will at last be able to breathe virtuously, despite the air pollution paradoxically aggravated by that purifier-in-chief now in Paris city hall, Madame the Mayor.
Jacques Henric Translation, C. Penwarden