Paysages. Bordeaux 2017
Landscape Bordelais.
De nouveaux jardins, de nouveaux quartiers, un nouveau tramway… soit un désir de rencontre animé par une approche sensible du rapport au corps, au déplacement, au temps, à l’espace bâti et au paysage. Une véritable esthétique émerge, qui crée les conditions d’une représentation inédite de l’espace urbain et de nouveaux modes de vie.
Tous à Bordeaux! Depuis le 25 juin et jusqu’au 25 octobre 2017, artistes, architectes, designers, danseurs, musiciens viennent rendre hommage à la « belle endormie ». Belle, Bordeaux l’est plus que jamais, quand elle se regarde dans son beau miroir d’eau créé par Michel Corajoud sur les quais de la rive gauche, au fil des eaux majestueuses de la Garonne, parmi mille reflets ocres jaunes, ors et orangés. Il y avait longtemps que Bordeaux se préparait pour ce rendez-vous. C’est le 2 juillet 2017 qu’il eut lieu. Paris rejoignait Bordeaux en seulement 2h04. Bien sûr, pour faire l’unanimité, l’événement devait être « culturel», et l’art ne pouvait manquer à la fête. Accompagné depuis la capitale par un commissaire parisien, José-Manuel Gonçalvès, il devait faire son show à la gare de Bordeaux. Puis on devait le retrouver là où il est «assigné à résidence », au CAPC, avec l’exposition : 4, 543 milliards. La question de la matière (28 juin 2017- 7 janvier 2018) : hommage avec son et lumière à la Société du spectacle, tout juste cinquante ans après sa première publication ! C’est finalement à l’extérieur de la gare que l’hommage eut lieu, sous une énorme boule à facettes signée Michel de Broin : « La culture devenue intégralement marchandise doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire (1) », pouvait-on entendre en prêtant l’oreille aux Mille Spéculations (titre donné à la boule). Et les personnages mis en scène par Antony Gormley continuaient, non sans ironie, de scander : « Sous-produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fonda- mentalement au loisir d’aller voir ce qui est devenu banal. »
SKATEBOARD ET ARCHITECTURE
Le thème de la saison culturelle de Bordeaux 2017 était le paysage. Quel paysage ? Le paysage médiatique? Le « décor » du capitalisme façon parc d’attractions mondialisé? Les artistes-commissaires de l’exposition au CAPC, Max Andrews et Mariana Cánepa, n’ont pas posé cette question de manière aussi explicite. C’est peut-être la raison pour laquelle les skatteurs – qui, eux, se déplacent plus librement – ont été invités par Arc en Rêve, dans le cadre de l’exposition Landskating Anywhere (27 juin15 octobre 2017). « Qu’est-ce que le skateboard fait à l’architecture, à la ville et au paysage ? », pourrait être la principale question posée ici, au coeur de l’entrepôt Lainé, au moyen de photographies, installations, vidéos, rencontres et démonstrations. Sans « produire » ni « consommer », certains skateurs, en ne faisant, à première vue, rien d’autre que de se laisser glisser, parviennent cependant à transformer complètement notre vision de l’espace, ce que montre notamment le film de Raphaël Zarka : Topographie anecdotée du skateboard. Le rapport au corps, au déplacement, au temps, aux contraintes de l’espace bâti, au désir et au plaisir que l’architecture peut nous donner, apparaît au travers d’une approche sensible – tous les sens en éveil – constituant une véritable esthétique. En faisant de ces sensations un langage, essentiellement visuel, c’est une représentation de l’espace urbain – suburbain et au-delà – inédite, et de nouveaux paysages qui apparaissent sous les yeux des spectateurs. De nouveaux paysages, et aussi de nouveaux mondes possibles, nous permettant d’échapper aux représentations héritées du passé ou imposées par le système économique dominant. C’est ce que les architectes de l’agence BIG semblent avoir compris, en créant à Bordeaux l’un des bâtiments culturels parmi les plus innovants et ludiques en ce début de 21e siècle : la Maison de l’économie créative et culturelle en Nouvelle-Aquitaine, qui réunira, dès 2018, le Frac (Fonds régional d’art contemporain), Oara (Office artistique de la région) et Ecla (Écrit cinéma livre audiovisuel). À Bordeaux, on le constate avec la saison culturelle Paysages, l’art ne se trouve pas toujours là où il est attendu, et repenser le lien entre les arts devient le principal enjeu de la politique culturelle qui y est menée. À la question du paysage, l’une des meilleures réponses est sans conteste celle de Constance Rubini, directrice artistique de l’exposition Oh Couleurs! (29 juin-5 novembre 2017), au musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux. Le Corbusier, Josef Albers, Donald Judd, Kurosawa… participent d’un paysage coloré surprenant où l’on explore les liens entre couleur et géographie, identité, mode… Quant au point d’orgue de la saison culturelle, c’est à l’architecte Bas Smets qu’il revient avec Paysages augmentés, biennale d’architecture de Bordeaux (20-24 septembre 2017). Tout en transformant un bâtiment (le Hangar 14) en paysage, Bas Smets nous expose son travail, qui prolonge à la fois celui des peintres classiques (qui inventèrent la notion de paysage) et celui des artistes conceptuels, en créant un espace de liberté, au-delà de l’image, pour nous aider à réinventer le monde, au-delà de ses représentations.
Sylvain Tognelli. « Untitled ». 2013. Exposition « Landskating Anywhere ». (Ph. J. Tettamanti et B. Trichet)
New gardens, new quarters, and a new tramway all add up to a new sociability based on a sensitive approach to the relation to the body, to movement, to time, to built space and to landscape. The aesthetic that emerges from this creates the conditions for a new representation of urban space and new ways of life. Let’s all go to Bordeaux! From June 25 through October 25, 2017, artists, architects, designers, dancers, musicians and others will celebrate this city often nicknamed the Sleeping Beauty, today more beautiful than ever, gazing at her reflection in the lovely water mirror designed Michel Corajoud, with the quays on her Left Bank spruced up and the majestic waters of the Garonne flowing by adorned with a thousand yellow ochre, golden and orange highlights. Bordeaux has been preparing for this moment for a long time, building new gardens, new neighborhoods and a new trolley car system, getting ready for its date with Paris. On July 2, 2017, the newTGV train line brought the two cities to within two hours and four minutes of each other. Of course, to win unanimous support, the event had to be given cultural significance; there could be no proper party without art. Accompanied from the capital by a Parisian curator, José-Manuel Gonçalvès, art had to do its number at the Bordeaux train station. Then it went “home” to the capc art center for the exhibition 4,543 milliards. La question de la matière (June 28, 2017-January 7), a kind of sound and light homage to The Society of the Spectacle exactly fifty years after its first publication. Actually, the homage was rendered outside the train station with Michel de Broin’s enormous disco ball, entitled, with proper ambiguity, Mille Spéculations. If you lent it your ear, you could hear the words Guy Debord wrote in that seminal text, “Culture, having become totally commodified, must now become the star merchandise of the society of the spectacle.” And the characters staged by Antony Gormley continued to chant, not without irony, “A by-product of the circulation of commodities, human circulation considered as a mode of consumption, i.e. tourism, is basically reduced to the freedom to go see that which has already become banal.” The theme for this year’s Bordeaux cultural festival was landscape. What landscape? The media landscape, as it’s called in French? The stage-set of a capitalism turned into an amusement park? The artist/curators of the show at the CAPC, Max Andrews and Mariana Cánepa, did not pose this question so explicitly, but skaters enjoy more freedom of movement. Maybe that’s why they were invited by Arc en rêve, as part of the exhibition Landskating Anywhere (June 27-October 15, 2017). “How does the skateboard change architecture, the city and the landscape?” could be the main question posed here, inside the former Lainé warehouse, filled with photos, installations, videos, roundtables and displays. Certain skaters, although they might not “produce” or “consume,” and in fact at first seem to do nothing but let themselves glide along, nevertheless are able to totally transform our perception of space. This is demonstrated most notably by Raphaël Zarka’s film Topographie anecdotée du skateboard. All our senses are awakened as our rela- tionship with the body, motion, time, the constraints of the built environment and the desire and pleasure that architecture can awaken in us are melded into a single, sensory aesthetic. By making these sensations into an essentially visual language, a brand new representation of urban, suburban and surrounding space, as well as new landscapes, appear before our eyes. New landscapes and also new possible worlds where we can escape from representations inherited from the past or imposed by the dominant economic system. That’s what the architects of the BIG agency seem to have understood. In Bordeaux they have created one of the most innovative and playful cultural buildings of the early twentieth-century, the Maison de l’Économie Créative et Culturelle en Nouvelle-Aquitaine, which beginning next year will house the Frac (regional contemporary art center), the Oara (regional art authority) and the Ecla (organization of writing, publishing, film and broadcasting professionals). This Paysages cultural festival shows that art isn’t always where you would expected it to be in Bordeaux, reconsiders the link between the arts (plural) and makes that the main concern for municipal cultural policy makers. One of the best responses to the question of the landscape is undoubtedly given by Rubini, artistic director of the exhibition Oh Couleurs ! (June 29-November 5, 2017) at the Musée des Arts Décoratifs et du Design de Bordeaux. Le Corbusier, Josef Albers, Donald Judd, Kurosawa, etc. are all part of a colorful and surprising landscape where visitors explore the links between color and geography, identity, fashion, etc. The high point of this seasonal festival is the work by the architect Bas Smets seen in Paysages augmentés, the Bordeaux architecture biennial (September 20-24, 2017). In a building (Warehouse 14) transformed into a landscape, Smets demonstrated designs that are both based on and go further than the classical painters who invented the landscape genre and the conceptual artists, producing a space of freedom beyond the image to help us reinvent the world, beyond its representations.
Translation, L-S Torgoff