Claire-Jeanne Jézéquel
Galerie Jean Fournier / 8 juin - 22 juillet 2017
Le travail de Claire-Jeanne Jézéquel réserve plus d’une surprise. Si, à première vue, la pratique du dessin domine, celle de sculpture nourrit la plupart des oeuvres exposées. On peut assez facilement les regrouper selon trois séries parallèles se renvoyant l’une l’autre et que l’artiste a réunies sous l’intitulé « Liquid(e) space ». La plus spectaculaire n’est pas la moins discrète ou la moins désarmante : des feuilles d’aluminium ou de calque polyester passées parfois à la bombe de peinture noire, presque des lambeaux, des restes, des « laissées », se déversent pardessus des structures de barres carrées d’aluminium. Si cet ensemble de trois sculptures murales peut évoquer la vague et son écume, les nuages au-dessus de l’horizon ou des glaciers de montagne, il traduit tout aussi bien l’espace de l’atelier, le travail en attente, la recherche in progress, cet état d’entre-deux où l’oeuvre est tout à la fois en gestation et à l’abandon, au point d’advenir ou de se désintégrer. Tout dans cette exposition n’est ainsi que glissement, contamination, absorption : la liquidité et la fluidité de l’encre rouge ou noire répandue en larges taches se jouent d’intervalles ou d’entrecroisements de lignes géométriques, dont il ne reste que l’empreinte ou la trace en creux ; des morceaux de verre sertis au plomb, à l’instar de fragments de vitraux de verre clair, s’incrustent ou viennent recomposer de grandes feuilles infusées des mêmes encres. Mais fragilité n’est pas précarité : dans chacune des propositions exposées, l’équilibre est parfait et la tension à son maximum, et l’économie des moyens – quatre matériaux, trois couleurs, deux jeux de formes tout au plus – au service d’une intensité expressive en tout point maîtrisée. De même, l’incertain, le passager, le flottement à l’oeuvre ne fait que traduire le vagabondage de la pensée au travail, ses jeux de rebonds, d’échos ou de résonances, une certaine agilité, sinon une allégresse, à déclencher un processus pour mieux regarder les choses agir d’ellesmêmes, vivre en elles-mêmes, presque sans but ni objectif ; c’est à nous de le restituer presque intact. L’oeuvre dès lors s’énonce comme un autre espace vital, qui dépasserait la simple surface d’existence ou le cadre utilitaire à la création pour mieux s’offrir comme un corps vivant traversé d’énergies physiques autant qu’expressives, sensibles autant que sensuelles. Et les silences d’y sonner aussi juste et aussi clair que les présences, les transparences d’y être aussi denses et profondes que les opacités, et le regard, tandis qu’il s’emplit de toutes ces sensations qu’il parcourt, de s’interroger, selon un mouvement inverse, sur ses propres capacités à voir, à écouter, à ressentir, à vivre l’art. L’expérience n’en est que plus salutaire.
Charles Arthur Boyer The work of Claire-Jeanne Jézéquel is full of surprises. While at first sight it might seem that her dominant medium is drawing, still sculpture plays a key role in most of the pieces on view. They can be easily grouped into three parallel, interacting series the artist has brought together under the title Liquid(e)space. The most spectacular piece is not the least discreet or the least disarming. Aluminum foil and polyester tracing paper, sometimes spray-painted black, almost in tatters, like remains or even excrement, spill out over structures made of square aluminum bars. This ensemble of three wall sculptures could evoke a wave and its spume, clouds floating over the horizon or mountain glaciers, but it also refers to the space of the workshop, work that is waiting or ongoing research, a state of in-betweenness where something is simultaneously gestating and abandoned, about to take shape or to disintegrate. The whole exhibition is nothing but a slipping, contamination, absorption: the liquidity and fluidity of the large spreading stains of red and black ink counter the intervals and intersections of geometrical lines of which little remains but the trace of where they used to be. Pieces of glass set in lead like fragments of transparent stained glass are boxed within each other or make up large sheets shot through with the same inks.They are fragile but not precarious; each of the pieces in this show is in a state of perfect equilibrium and at the same time maximum tension, and the minimal constituent elements—four materials, three colors, two sets of shapes at most—produce an expressive intensity under full control. Likewise, the piece’s uncertainty, transitoriness and vagueness simply transcribe the wandering mind at work—its ricocheting thoughts, echoes and resonances, a certain agility and even enthusiastic willingness to unleash a process so as to better observe things autonomously existing and acting, almost aimlessly. It’s up to us to make it all whole again. Thus this piece declares itself an alternative vital space going beyond the simple surface of existence or a utilitarian framework for creation to become a living body traversed by physical as well as expressive energies, sensory as well as sensual. The silences ring out just as truly and clearly as the presences; the transparencies are as dense and deep as the opacities. Our gaze is filled with all of these sensations it explores and interrogates in a counter-current, based on our own ability to see, listen to and live art. This is a magnificent experience.
Translation, L-S Torgoff