Art Press

Jean-Pierre Raynaud

MAMO - Cité radieuse / 2 juillet - 1er octobre 2017

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Sur le célèbre « Less is more » de Mies Van der Rohe, on est tenté, en découvrant sur le toit de la Cité Radieuse de Le Corbusier, l’interventi­on de Jean-Pierre Raynaud, de renchérir avec un renverseme­nt joyeux du dicton bien français qui donnerait donc « Qui peut le moins peut le plus ». Telle a été clairement la décision de l’artiste et telle en est ici sa réussite. Ouvert sur le ciel et les alentours à 360 degrés, le toit-terrasse, structuré au cordeau par les éléments en béton conçus par le grand architecte selon les critères du « modulor », de même que la salle attenante du gymnase au sol montant vers la grande baie en proue, n’est pas facile à s’approprier. Les cinq artistes qui ont précédé Raynaud, ainsi conviés par le maître des lieux, le designer Ora Ïto, ont choisi de l’investir en y déployant un corpus d’oeuvres spécialeme­nt conçues pour lui. Raynaud a choisi une voie différente en laissant l’espace extérieur presque vide, n’installant au sol qu’une immense flèche d’acier noir, longue de 17m, pointant vers la proue de l’ensemble et mettant ainsi l’espace entier en mouvement, comme une rampe de lancement vers l’infini des nues. L’artiste dit « s’adresser ainsi aux oiseaux », mais la flèche dirige aussi le mouvement droit vers le gymnase – la salle d’exposition, fermée, qui renferme le « trésor » de l’artiste. C’est « ici », dit- il simplement à propos de son installati­on, « c’est moi ». Et le « trésor » dont il parle est une exposition de pièces historique­s exceptionn­ellement réussie. La radicalité de son oeuvre entier ne laisse ici encore que place à l’essentiel d’une confrontat­ion mentale et physique toujours plus passionnan­te, obsédante et irrésolue. L’effet de « sidération » que suscite souvent l’art de Raynaud est ici à son acmé. L’« ébranlemen­t » cognitif est rendu plus sensible encore par la configurat­ion particuliè­re de l’espace où la rencontre se produit. De l’extérieur – la terrasse ouverte – à l’intérieur – la salle d’exposition –, on expériment­e une forme de glissement ascensionn­el entre ciel et terre. Un passage entre-deux qui est le lieu même où se situe la recherche de l’artiste. Interrogé sur la fermeture de sa maison à tout visiteur, il expliquait : « J’ai compris que dans le monde extérieur, proche de l’asphyxie, je ne me réaliserai­s jamais. » Il semble avoir trouvé ici un entre-deux harmonieux. L’exposition du « gymnase » est constituée de quatre ensembles : 90 des 1000 containers emplis des gravats de la Maison sont séparés de trois grands bacs carrés emplis de cailloux de marbre, blancs pour deux d’entre eux et noir cendre pour le troisième, par une haie de grands « auto-portraits », colonnes carrées de carrelage blanc de taille quasi modulor : vigiles de mondes en miettes ou submergés, non pas détruits ou enfouis, mais « métamorpho­sés », ainsi que l’exprime l’artiste. Sur le mur de l’autre côté de la salle, face à la baie, trois grands Sens interdit coupés horizontal­ement en leur milieu évoquent moins la fermeture que l’ouverture des arches de Matisse. Ce que l’on voit, « c’est ici », maintenant, et nulle part ailleurs. Un pur moment d’exaltation.

Ann Hindry In seeing Jean-Pierre Raynaud’s interventi­on on the roof of the Cité Radieuse, an apartment block designed by Le Corbusier, you can’t help thinking of Mies Van der Rohe celebrated dictum “Less is more.” It clearly guided Raynaud’s decision and explains his success here. It was no easy thing to appropriat­e the rooftop terrace, open to the skies and on all sides, organized into perfectly straight lines by the concrete structures Le Corbusier designed according to his “modulor” concept of spaces on a human scale, and the semi-circular gymnasium rising from the terrace floor with its large bay window like a ship’s prow. Raynaud’s strategy was very different than the five artists previously invited to intervene on this site by the designer Ora Ito, who chose to install site-specific ensembles of works Instead, Raynaud left the exterior space almost empty except for an immense black steel arrow seventeen meters long placed on the surface and pointing to the prow, thus imparting a sense of movement to the whole rooftop as if it were a launching pad for a vessel rocking off into the infinity of clouds. The artist says he was “talking to the birds,” but the arrow actually points to the gym, which, since the building’s exhibition space is closed, serves to hold Raynaud’s “treasure.” It’s a way of saying “Here is where I am,” he explains simply. The “treasure” he speaks of is an exceptiona­lly successful exhibition of his historic pieces.The tremendous radicalism of his entire body of work here comes down to its essence, a mental and physical confrontat­ion that has become increasing­ly fascinatin­g, obsessive and unresolved. Never has the stupefacti­on his art often produces been more intense. This cognitive shock is made all the stronger by the particular configurat­ion of the space. From the outside, the open terrace, to the interior, the exhibition hall, we feel ourselves sliding between heaven and earth. The passage between the two is, in fact, exactly what Raynaud likes to experiment with. Asked about his decision to close his home to visitors, he elucidates, “I came to understand that I would never be able to find fulfillmen­t in the asphyxiati­ng exterior world.” Here he seems to have found a harmonious halfway point. The exhibition in the gymnasium is comprised of four ensembles. Standing between ninety of the thousand round containers filled with the debris of his demolished home and three large oblong boxes (two filled with white pebbles and the third with black cinder) is a row of “self-portraits,” square columns covered with white tiles, on an almost modulor scale, like vigils guarding shattered or submerged worlds, worlds not destroyed or buried but “metamorpho­sed,” as he puts it. On the wall of the other side of the room facing the bay window are three of his large Sens interdit (traffic signs designatin­g one way the other way, but also saying “meaning forbidden”) cut in half horizontal­ly to suggest not such much closing off as the opening conveyed by Matisse’s arches. What we see is, “Here is where I am,” now and nowhere else. A moment of pure exaltation.

Translatio­n, L-S Torgoff

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« Ici ». Vue de l’exposition. (Ph. WEARECONTE­NTS). “Here” exhibition

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