Bernard Dufour
Château de Jau / 24 juin - 29 septembre 2017
Il s’est tenu au Château de Jau la plus importante rétrospective de l’oeuvre de Bernard Dufour à ce jour (60 oeuvres, dépassant donc celle du musée d’art moderne de Strasbourg [2006] en 40 tableaux). Une précédente exposition y avait été présentée en 1986, et avait alors été accompagnée d’un livre de Jacques Henric, En plein dans tout, dont l’importance a été capitale pour la reconnaissance du peintre. Sabine Dauré, qui avait conçu cette exposition, secondée par Régine de Boussac, a confié à le commissariat à quatre proches du peintre décédé il y a un an. Ce qui frappe d’emblée le visiteur, c’est qu’à chaque extrémité de l’espace d’exposition, en vis-à-vis, deux grands tableaux nous regardent : Lore n°2 et Martine me photographie ; les figures (de femmes) sont là, imposantes, incarnées, solides. Dans la salle des choix de Catherine Millet, on relève une insistance sur Dufour coloriste, à l’encontre des idées reçues qui feraient de lui avant tout un dessinateur, avec une « apothéose » dans les dernières années, alors que le peintre est malade. Après des tableaux peints comme un retour à Lascaux ( Sans titre, 1967), où les figures semblent presque primitives (Dufour s’y auto-portraiturant en voyeur, ou veilleur), puis d’énigmatiques tableaux aux figures noires et grises où des bandes bleues obliques semblent nous rappeler avec une certaine ironie qu’il y a alors toute une école abstraite triomphante, les derniers autoportraits acquièrent la densité colorée d’un Ensor ou d’un Van Dongen et les ultimes portraits de Laure, la dernière compagne, font penser à Bonnard tant les couleurs deviennent fauves (ce qui étonne). Dans la salle de Marc Desgrandchamps, on est attiré par des tableaux sur jute où la couleur acrylique a coulé sur la toile non préparée, accueillant alors des effets de transparence qu’on n’avait pas remarqués auparavant et qui évoquent les oeuvres du peintre-commissaire. Puis on est arrêté par les emprunts à la grande peinture maniériste dans certains de ses nus ( Laure de dos, n°1 & 2, les gardes 3) ; il y a du Pontormo chez cet artiste. Dans la salle de Richard Leydier, c’est l’obscurité qui prime, avec, rassemblés, différents portraits de la femme du peintre, Martine, peints sur des volets après la mort de celleci et emplis de crânes mélancoliques ayant valeur de memento mori. Dans la salle de Jacques Henric, c’est l’obsession du romancier pour l’idée qu’il « n’y a de peinture que de notre corps ; et il n’y a de corps que de celui de la femme », qui est mise en avant. Directement à « la chose » dans le Grand Nu ouvert ou dans Homme et femme n°1. Dans ses écrits, Dufour a souvent répété qu’il n’y avait quasiment pas eu de femme sexuée en peinture ; voilà l’« oubli » réparé, un interdit majeur enfreint : montrer le sexe de la femme aimée. Dans les grottes, les femmes et les hommes étaient nus ; aussi peut-on maintenant être sûr que Dufour est revenu (jamais plus proche d’un Egon Schiele que dans les Jeunes Amants n°3) à l’origine de l’art : femmes souvent gravides, vulves gonflées et ouvertes.
Guillaume Basquin With some sixty works, the Bernard Dufour retrospective at the Château de Jau was the artist’s biggest to date, well ahead of the one held just over a decade ago at the Musée d’Art Moderne in Strasbourg (2006, 40 paintings). The Château first exhibited Dufour back in 1986. That show, and the book that accompanied it, En plein dans tout by Jacques Henric, played a key role in bringing this painter, who died in June last year, to wider attention. Its curator, Sabine Dauré, has entrusted this new show to four people who knew him well. The immediately striking thing are the two big paintings that face each other across the exhibition space: two women looking at us Laure n°2 and Martine me photographie. Dufour’s women are imposing, physical, solid. In the room with works chosen by Catherine Millet, the emphasis is on the artist as colorist, a quality neglected by a common perception of him as essentially a draftsman. The apotheosis here comes in the final years, when Dufour was ill. After paintings that hark back to Lascaux ( Sans titre, 1967), in which the figures seem almost primitive (with Dufour portraying himself as a voyeur, or watcher), and then enigmatic pictures with black and gray figures in which slanting blue stripes seem like ironic reminders of the international triumph of abstraction at the time, the last selfportraits have the dense color of Ensor or Van Dongen and the final portraits of Laure, the artist’s last companion, recall Bonnard in their chromatic intensity. In the room curated by Marc Desgrandchamps, we are drawn to the paintings on jute, in which the acrylic has dripped on the unprepared canvas and the effects of transparency, not noticed before, reminds us of Desgrandchamps’ own paintings.Then come the borrowings from great Mannerist painting—Pontormo particularly— in nudes such as Laure de dos, n°1 & 2, Les gardes 3. In the room curated by Richard Leydier, darkness prevails. Here are various paintings of Dufour’s wife, Martine, painted after her death on shutters in works filled with memento-mori skulls. Finally, novelist Jacques Henric curates a room expressing his own idea that “there is no painting except the painting of our own bodies, and no body except a woman’s body.” Grand Nu ouvert and Homme et femme n° 1 take us straight to the genitalia. In his writings, Dufour often drew attention to the extreme rarity of truly sexual women in painting. He certainly redressed that imbalance, and broke the taboo in showing the beloved’s sex. In the caves, women and men were naked, and we can be sure that Dufour (who is never closer to Egon Schiele than in his Jeunes Amants n°3) went back to the origins of art with his women, who are often gravid, their vaginas swollen and open.
Translation, C. Penwarden